vendredi 7 février 2014

La Balançoire (une scène de jardin inspirée par Renoir )

A. Renoir : La Balançoire, 1876

Hélène venait, pour la première fois, de quitter le deuil. Elle portait une robe grise, garnie de nœuds mauves. Et, toute droite, elle partait lentement, rasant la terre, comme bercée.
- Allez ! Allez ! dit-elle.
Alors, monsieur Rambaud, les bras en avant, saisissant la planchette au passage, lui imprima un mouvement plus vif. Hélène montait ; à chaque vol, elle gagnait de l’espace. Mais le rythme gardait une gravité. On la voyait, correcte encore, un peu sérieuse, avec des yeux très clairs dans son beau visage muet ; ses narines seules se gonflaient, comme pour boire le vent. Pas un pli de ses jupes n’avait bougé. Une natte de son chignon se dénouait.
- Allez ! Allez !
Une brusque secousse l’enleva. Elle montait dans le soleil, toujours plus haut. Une brise se dégageait d’elle et soufflait dans le jardin ; et elle passait si vite, qu’on ne la distinguait plus avec netteté. Maintenant, elle devait sourire, son visage était rose, ses yeux filaient comme des étoiles. La natte dénouée battait sur son cou. Malgré la ficelle qui les nouait, ses jupes flottaient et découvraient la blancheur de ses chevilles. Et on la sentait à l’aise, la poitrine libre, vivant dans l’air comme dans une patrie.
- Allez ! Allez !
Monsieur Rambaud, en nage, la face rouge, déploya toute sa force. Il y eut un cri. Hélène montait encore.
- Oh ! maman ! Oh ! maman ! répétait Jeanne en extase.
Elle s’était assise sur la pelouse, elle regardait sa mère, ses petites mains serrées sur sa poitrine, comme si elle eût elle-même bu tout cet air qui soufflait. Elle manquait d’haleine, elle suivait instinctivement d’une cadence des épaules les longues oscillations de la balançoire. Et elle criait :
- Plus fort ! Plus fort !
Sa mère montait toujours. En haut, ses pieds touchaient les branches des arbres.
- Plus fort ! Plus fort ! Oh ! maman, plus fort !
Mais Hélène était en plein ciel. Les arbres pliaient et craquaient comme sous des coups de vent. On ne voyait plus que le tourbillon de ses jupes qui claquaient avec un bruit de tempête. Quand elle descendait, les bras élargis, la gorge en avant, elle baissait un peu la tête, elle planait une seconde ; puis, un élan l’emportait, et elle retombait, la tête abandonnée en arrière, fuyante et pâmée, les paupières closes. C’était sa jouissance, ces montées et ces descentes, qui lui donnaient un vertige. En haut, elle entrait dans le soleil, dans ce blond soleil de février, pleuvant comme une poussière d’or. Ses cheveux châtains, aux reflets d’ambre, s’allumaient ; et l’on aurait dit, qu’elle flambait tout entière, tandis que ses nœuds de soie mauve, pareils à des fleurs de feu, luisaient sur sa robe blanchissante. Autour d’elle, le printemps naissait, les bourgeons violâtres mettaient leur ton fin de laque, sur le bleu du ciel.
Alors, Jeanne joignit les mains. Sa mère lui apparaissait comme une sainte, avec un nimbe d’or, envolée pour le paradis. Et elle balbutiait encore : "Oh ! maman, oh ! maman..." d’une voix brisée.

Zola, Une Page d’amour (1878) 


Question :
Lisez le texte de Zola, observez les tableaux du Renoir et répondez aux questions suivantes :
1) Quels sont les détails qui permettent de voir que Zola s’est inspiré du tableau de Renoir pour écrire son texte ?
2) Outre le motif et le sujet, comment Zola reprend-t-il l’esthétique impressionniste de Renoir dans cette scène ? 

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