mardi 12 avril 2011

Surdoués : trop intelligents pour être heureux

Depuis qu’elle a créé l’Association française pour les enfants précoces (Afep) en 1993, Sophie Côte a reçu toutes sortes de sollicitations des médias. Elle est d’ailleurs habituée à y répondre favorablement, afin de faire connaître au grand public la cause de ces petits qui sont « trop tout ». Trop éveillés, trop curieux, trop exigeants, trop angoissés, et parfois trop mauvais en classe, où ils peuvent s’ennuyer à périr sous le regard exaspéré des enseignants. […]

Jean-Charles Terrassier est encore plus ancien dans le métier. Ce psychologue clinicien de Nice a, dès 1971, exploré le fonctionnement de ces têtes drôlement faites qui représentent tout de même plus de 2 % de la
population. Lui qui s’est battu pour faire admettre l’existence des surdoués, pour encourager leur détection et éviter du même coup leur marginalisation, a écrit des livres, multiplié les colloques, les interviews dans les journaux.
Mais il n’en est pas revenu quand une grande chaîne de télévision publique a décidé de bâtir une émission autour d’un enfant qui serait testé « en direct » et dont les téléspectateurs connaîtraient le QI juste avant le générique de fin, au terme d’un suspense savamment orchestré…
Encore ignoré par l’institution scolaire, toujours nié par les tenants d’une psychanalyse pure et dure, l’enfant précoce, depuis quelque temps, est l’objet de fantasmes collectifs de plus en plus tenaces. Dans une société où la performance est devenue une valeur en soi et l’enfant idéal un objet de désir narcissique, le mythe du petit génie envahit les têtes. […]
De très rares collèges publics et des établissements privés en nombre plus important ont ouvert des classes spécifiques pour les enfants précoces, qui ont la possibilité de faire deux années en une. Ainsi du collège privé Saint-Louis, au Mans, où les professeurs, recrutés sur la base du volontariat, reçoivent une formation spécifique. Cet établissement, qui poursuit l’expérience depuis huit ans sans faire de tapage, doit refuser la plupart des demandes. « Pour l’entrée en quatrième, nous avons 10 places et 200 demandes », explique le
directeur, avant de préciser que la plupart de ces enfants sont, d’une manière ou d’une autre, en difficulté scolaire, et qu’il ne pratique donc aucune sorte d’élitisme qui améliorerait ses résultats.
Mais, à côté d’institutions comme celle-ci, intéressées par l’épanouissement des enfants et non par leurs performances, d’autres ont vu dans cette population très spéciale un vivier propre à améliorer leurs résultats au brevet et au bac, tout en se situant sur un créneau porteur. […]
Dans l’imagerie populaire, l’enfant surdoué n’est pas à plaindre, c’est presque un nanti.
Personne ne voit ses fragilités, et éventuellement ses souffrances. Résultat, plus d’un enfant sur trois n’a pas son baccalauréat, parce qu’il est rejeté du système scolaire avant le lycée […] Faute de recherches, faute de solutions pédagogiques adaptées, les surdoués risquent de demeurer ces objets de fantasme
qui inspirent même les sectes, puisque des mouvements comme les Enfants indigo, avec des arguments à dormir debout, parviennent à convaincre des parents désemparés que leurs enfants sont des envoyés d’une autre civilisation et qu’il convient de les élever « autrement », loin des psys. Entre propositions
délirantes et indifférence des institutions, les familles ont bien du mérite à se frayer un chemin vers la simple reconnaissance d’une particularité qui fascine et indispose.

Sophie Coignard, Le Point

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