[Jacques vit avec sa
mère chez sa grand-mère, en Algérie, qui s’occupe de son éducation.]
«L’été est trop long », disait la grand-mère qui accueillait
du même soupir soulagé la pluie
d’automne et le départ de Jacques, dont les piétinements d’ennui au long
des journées torrides, dans les pièces
aux persiennes closes, ajoutaient encore à son énervement.
Elle ne comprenait pas d’ailleurs qu’une période de l’année
fût plus spécialement désignée pour n’y
rien faire. « Je n’ai jamais eu de vacances, moi », disait-elle, et c’était
vrai, elle n’avait connu ni l’école ni
le loisir, elle avait travaillé enfant, et travaillé sans relâche. Elle
admettait que, pour un bénéfice plus
grand, son petit-fils pendant quelques années ne rapporte pas d’argent à
la maison. Mais, dès le premier jour,
elle avait commencé de ruminer sur ces trois mois perdus, et, lorsque Jacques entra en troisième, elle
jugea qu’il était temps de lui trouver l’emploi de ses vacances. « Tu vas travailler cet été », lui
dit-elle à la fin de l’année scolaire, « et rapporter un peu d’argent à la
maison. Tu ne peux pas rester comme ça sans rien faire».
En fait, Jacques trouvait qu’il avait beaucoup à faire entre
les baignades, les expéditions à Kouba (1),
le sport, le vadrouillage (2), dans les rues de Belcourt (1)
et les lectures d’illustrés, de romans
populaires, de l’almanach Vermot (3) et de l’inépuisable catalogue
de la Manufacture d’armes de
Saint-Étienne. Sans compter les courses pour la maison et les petits travaux
que lui commandait sa grand-mère. Mais
tout cela pour elle était précisément ne rien faire, puisque l’enfant ne rapportait pas d’argent et ne travaillait
pas non plus comme pendant l’année scolaire, et cette situation gratuite brillait pour elle de tous
les feux de l’enfer. Le plus simple était donc de lui trouver un emploi.
En vérité, ce n’était pas si simple. On trouvait
certainement, dans les petites annonces de la
presse, des offres d’emploi pour petits commis ou pour coursiers. Et Mme
Bertaut, la crémière dont le magasin à
l’odeur de beurre (insolite pour des narines et des palais habitués à l’huile)
était à côté de la boutique du coiffeur,
en donnait lecture à la grand-mère. Mais les employeurs demandaient toujours que les candidats eussent au moins
quinze ans, et il était difficile de mentir sans effronterie sur l’âge de Jacques qui n’était pas très
grand pour ses treize ans. D’autre part, les annonciers rêvaient toujours d’employés qui feraient
carrière chez eux. Les premiers à qui la grand-mère présenta Jacques le trouvèrent trop jeune ou
bien refusèrent tout net d’engager un employé pour deux mois. « Il n’y a qu’à dire que tu
resteras, dit la grand-mère. – Mais c’est pas vrai. – Ça ne fait rien. Ils te croiront. »
Albert Camus, Le
premier homme, Gallimard, 1994 (édition posthume)
(1) Kouba et Belcourt
: quartiers d’Alger
(2) vadrouillage :
promenades
(3) Almanach Vermot :
calendrier comportant des jeux, des dessins humoristiques, des informations
dans des domaines variés : météorologie,
jardinage, cuisine, santé...
Compréhension
1. Quel point commun la grand-mère trouve-t-elle à « la
pluie d’automne et [au] départ de
Jacques » ?
2. Pourquoi la grand-mère de Jacques ne comprend-elle pas
l’intérêt des vacances d’été ?
3. Pour quelle(s) raison(s) veut-elle que Jacques travaille
pendant l’été ?
4. Jacques trouve-t-il qu’il manque d’occupations ?
Justifiez votre réponse.
5. Expliquez la phrase « cette situation gratuite brillait
pour elle de tous les feux de l’enfer ».
6. Comment la grand-mère se renseigne-t-elle sur les offres
d’emploi ?
7. Est-il facile pour Jacques de trouver un emploi ?
Pourquoi ?
8. Quel conseil la grand-mère de Jacques lui donne-t-elle ?
Production
§
Résumez le texte en quelques lignes.
§
Les vacances sont-elles utiles ? Faudrait-il les
réduire ? Exprimez votre opinion personnelle.
(de 250 à 300 mots)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire