mercredi 2 avril 2014

Paris ville morte la nuit? J'ai un bar. Et un souci: les voisins en guerre contre le bruit

Que faire pour dynamiser la vie nocturne à Paris ? Dans le cadre des municipales, les candidats, NKM et Anne Hidalgo en tête, ont formulé des propositions. Avec à l'esprit le dilemme entre les riverains en guerre contre le bruit et les bars qui se mobilisent pour faire bouger leur quartier. Comment réveiller Paris en douceur ? Témoignage de David Gamrasni, patron du Pili Pili, dans le 11e arrondissement.

 

 

Quand j’ai repris en 2011 le Pili Pili, dans le  11e arrondissement de Paris, le bar avait déjà dû fermer deux fois, suite aux plaintes de riverains, alors qu’il n’existe que depuis 2007 ! Gérer des problèmes de bruit fait désormais partie intégrante de mon travail.

J'ai habité au-dessus d'un bar en travaillant le jour

Le problème est simple : un bar, ça vit, y compris la nuit. À la sortie, il y a parfois des clients qui s’oublient, ce qui dérange les riverains. Je comprends tout à fait, d’autant que j’ai habité près de la rue Oberkampf, une rue beaucoup plus bruyante, juste à côté.

À l’époque je ne travaillais pas la nuit et je dormais au-dessus d’un bar qui fermait à 5 heures du matin. Pendant un moment, j’ai même été "chuteur" (une sorte de médiateur qui gère la clientèle sur les trottoirs), ce qui m’a permis de constater le comportement des clients fumeurs. 

Un bar fait vivre un quartier et peut même le sécuriser

Il faut en effet tout faire pour que nos clients soient sensibilisés aux nuisances qu’ils peuvent créer mais il faut aussi que les riverains mécontents comprennent que les bars ne sont pas néfastes à un quartier, bien au contraire ils lui donnent une âme.

D’après ce que j’en ai entendu, l’association des riverains souhaite fermer un bar sur deux pour réduire ces nuisances. Mais ce ne sont pas les bars qui transforment la rue en "jungle", au contraire ils la rendent plus sûre et ont débarrassé notre quartier des trafiquants et consommateurs de drogues en tout genre qui régnaient autrefois dans ce même espace alors impraticable à partir d’une certaine heure.

Et je ne parle pas ici de l’utilité sociale incontestable du bar en général, ni de la manne économique que représentent nos commerces pour la Ville, l’Etat avec les divers et nombreuses taxes et impôts, les créations d’emplois, la baisse des taxes d’habitation, etc…

On oublie aussi souvent un peu vite qu’il y a des millions de personnes qui travaillent de nuit et qui sont aussi gênées par les nuisances diurnes.

En a-t-on fait un enjeu politique ? Ils représenteraient pourtant à Paris, 40% de la population active.

Malgré de la bonne volonté, la pression est réelle

Mon bar a reçu l'été dernier un avertissement parce que la porte était restée ouverte trop longtemps, laissant filtrer possiblement la musique à l’extérieur. C’est peu comparé à d’autres qui ont dû fermer plusieurs jours car une dizaine de fumeurs peut-être très bruyants étaient devant leurs établissements.

Mais globalement nous ressentons tous une pression injustifiée alors même que nous trouvons tout à fait normal les divers contrôles auxquels nous sommes soumis : hygiène, droit du travail, impôts, police…

La plupart des commerçants du quartier cherchent pourtant des solutions et font preuve de bonne volonté. La rue Jean-Pierre Timbaud a même été en première ligne pour trouver des solutions et a servi de laboratoire. J’ai notamment expérimenté au-dessus de mon bar des sondes sonores qui permettent de mesurer scientifiquement le niveau des nuisances et de déclencher une alerte SMS au-delà d’un certain seuil.

Conclusion : la rue n’est pas plus bruyante qu’une autre, à part autour de deux heures du matin, lorsque les bars ferment. Une solution peut être d’échelonner d’avantage la fermeture des bars entre 2h et 5h du matin pour réduire le déversement brutal de la clientèle au même moment. 

Malgré toutes ces pressions, je ne me considère pas en guerre contre les riverains qui, pour la plupart, soutiennent les commerces et la vie de ce quartier. Le président du Collectif Riverains Jean-Pierre Timbaud habite juste au-dessus de mon bar. Il a mon numéro et en cas de problème, m’appelle pour que j’intervienne.   

La nuit, Paris a des airs de ville de province

L’élection d’un maire de la nuit, organisée par des bars et autres lieux nocturnes parisiens en novembre 2013, montre que les professionnels et les noctambules veulent vraiment s’occuper du problème, même s'il aurait besoin d’un statut plus officiel. La proposition dans le cadre de l’élection municipale parisienne, de créer un "adjoint de la nuit" va donc dans le bon sens.

Paris doit pouvoir vivre davantage et enfin s’assumer comme capitale.

Je ne dirais pas que c’est une ville morte, mais elle a le rythme nocturne d’une ville de province. C’est tout de même l’une des seules capitales où il n’y a quasiment aucun commerce ouvert 24h/24. Si à minuit vous avez faim : à part McDonald’s et quelques brasseries, tout est fermé. Et pourtant nous sommes dans l’une des principales villes touristiques au monde.



(Le Nouvel Observateur du 15 mars 2014) 

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