Que faire pour dynamiser la vie nocturne à Paris ? Dans le cadre des
municipales, les candidats, NKM et Anne Hidalgo en tête, ont formulé des propositions.
Avec à l'esprit le dilemme entre les riverains en guerre contre
le bruit et les bars qui se mobilisent pour
faire bouger leur quartier. Comment réveiller Paris en douceur ?
Témoignage de David Gamrasni, patron du Pili Pili, dans le 11e arrondissement.
Quand j’ai repris en 2011
le Pili Pili, dans le 11e arrondissement de Paris, le
bar avait déjà dû fermer deux fois, suite aux plaintes de riverains, alors
qu’il n’existe que depuis 2007 ! Gérer des problèmes de bruit fait
désormais partie intégrante de mon travail.
J'ai habité au-dessus d'un bar en
travaillant le jour
Le problème est simple : un
bar, ça vit, y compris la nuit. À la sortie, il y a parfois des clients qui
s’oublient, ce qui dérange les riverains. Je comprends tout à fait, d’autant
que j’ai habité près de la rue Oberkampf, une rue beaucoup plus bruyante, juste
à côté.
À l’époque je ne travaillais pas
la nuit et je dormais au-dessus d’un bar qui fermait à 5 heures du matin.
Pendant un moment, j’ai même été "chuteur"
(une sorte de médiateur qui gère la clientèle sur les trottoirs), ce qui m’a
permis de constater le comportement des clients fumeurs.
Un bar fait vivre un quartier et
peut même le sécuriser
Il faut en effet tout faire pour
que nos clients soient sensibilisés aux nuisances qu’ils peuvent créer mais il
faut aussi que les riverains mécontents comprennent que les bars ne sont pas
néfastes à un quartier, bien au contraire ils lui donnent une âme.
D’après ce que j’en ai entendu,
l’association des riverains souhaite fermer
un bar sur deux pour réduire ces nuisances. Mais ce ne sont pas les bars qui
transforment la rue en "jungle", au contraire ils la rendent plus
sûre et ont débarrassé notre quartier des trafiquants et consommateurs de
drogues en tout genre qui régnaient autrefois dans ce même espace alors
impraticable à partir d’une certaine heure.
Et je ne parle pas ici de
l’utilité sociale incontestable du bar en général, ni de la manne économique
que représentent nos commerces pour la Ville, l’Etat avec les divers et
nombreuses taxes et impôts, les créations d’emplois, la baisse des taxes
d’habitation, etc…
On oublie aussi souvent un peu
vite qu’il y a des millions de personnes qui travaillent de nuit et qui sont
aussi gênées par les nuisances diurnes.
En a-t-on fait un enjeu
politique ? Ils représenteraient pourtant à Paris, 40%
de la population active.
Malgré de la bonne volonté, la
pression est réelle
Mon bar a reçu l'été
dernier un avertissement parce que la porte était restée ouverte trop
longtemps, laissant filtrer possiblement la musique à l’extérieur. C’est peu
comparé à d’autres qui ont dû fermer plusieurs jours car une dizaine de fumeurs
peut-être très bruyants étaient devant leurs établissements.
Mais globalement nous ressentons
tous une pression injustifiée alors même que
nous trouvons tout à fait normal les divers contrôles auxquels nous sommes
soumis : hygiène, droit du travail, impôts, police…
La plupart des commerçants du
quartier cherchent pourtant des solutions et font preuve de bonne volonté. La
rue Jean-Pierre Timbaud a même été en
première ligne pour trouver des solutions et a servi de
laboratoire. J’ai notamment expérimenté au-dessus de mon bar des
sondes sonores qui permettent de mesurer scientifiquement le
niveau des nuisances et de déclencher une alerte SMS au-delà d’un certain
seuil.
Conclusion : la rue n’est
pas plus bruyante qu’une autre, à part autour de deux heures du matin, lorsque
les bars ferment. Une solution peut être d’échelonner d’avantage la fermeture
des bars entre 2h et 5h du matin pour réduire le déversement brutal de la
clientèle au même moment.
Malgré toutes ces pressions, je
ne me considère pas en guerre contre les riverains qui, pour la plupart,
soutiennent les commerces et la vie de ce quartier. Le président du Collectif
Riverains Jean-Pierre Timbaud habite juste
au-dessus de mon bar. Il a mon numéro et en cas de problème, m’appelle pour que
j’intervienne.
La nuit, Paris a des airs de
ville de province
L’élection
d’un maire de la nuit, organisée par des bars et
autres lieux nocturnes parisiens en novembre 2013, montre que les
professionnels et les noctambules veulent vraiment s’occuper du problème, même
s'il aurait besoin d’un statut plus officiel. La proposition dans
le cadre de l’élection municipale parisienne,
de créer un "adjoint de la nuit"
va donc dans le bon sens.
Paris doit pouvoir vivre
davantage et enfin s’assumer comme capitale.
Je ne dirais pas que c’est une
ville morte, mais elle a le rythme nocturne d’une ville de province. C’est tout
de même l’une des seules capitales où il n’y a quasiment aucun commerce ouvert
24h/24. Si à minuit vous avez faim : à part McDonald’s et quelques
brasseries, tout est fermé. Et pourtant nous sommes dans l’une des principales
villes touristiques au monde.
(Le Nouvel Observateur du 15 mars
2014)
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