Chic,
savante, créative et gloutonne, Bologne se parcourt comme un beau livre
illustré. Visite.
De
loin, elles se dressent dans le ciel, imposantes et fières. De près, on passe
devant sans presque les voir, noyé dans la surabondance de palais, de
basiliques, d'églises, de portiques, d'arcades et de colonnes. Quarante-deux
kilomètres de galeries, rouge, ocre, brun, vestige du Moyen Age, restaurées par
chacune des époques qui ont suivi. Certaines abritent les plus fantastiques
centres commerciaux qu'une ville puisse offrir. Le plus long portique, 666
arcades, relie la ville au sommet du Monte Guardia, siège du sanctuaire de la Madonna di San
Luca, icône miraculeuse de l'école byzantine représentant la Vierge
Marie, que la légende dit avoir été apportée de
Constantinople par l'ermite Théocle.
Préservée
Bologne
l'Opulente
Humanité et irrévérence
Préservée
Coup d'oeil vers l'azur. Le soleil rit aux
éclats. Flash. Aucun doute, les deux tours penchent. L'une plus que l'autre,
Garisenda, celle de l'Enfer chantée par Dante dans La divine comédie. Sa
tête est coupée. Le châtiment d'une offense suprême ? Un affaissement de
terrain menaçait de la faire s'écrouler. Décapitée, décidèrent les autorités.
La seconde, Asinelli, la plus haute, vit la foudre et le feu avant de servir à
expérimenter la chute des corps. Garisenda, Asinelli, délires d'aristocrates
aux ambitions boursouflées, symboles de la Bologne papale, aux prises avec les
rivalités claniques entre guelfes et gibelins.
On marche beaucoup à Bologne, l'une des
villes médiévales les mieux préservées d'Europe. Ou plutôt, on flâne, dans les ruelles, entre piazza
Maggiore et piazza Minghetti. L'esprit est saisi par mille choses, le passage
d'une cycliste en colère, une boutique de cuisine design, le charme d'une
église inachevée, spécialité de la ville, ou encore un monument plus captivant
que les autres. Du balcon du palazzo della Mercanzia, splendide édifice de
style gothique, les juges lisaient les condamnations. Les coupables de
banqueroute frauduleuse étaient enchaînés à un poteau avant d'être cloués au
pilori. Détruit pendant la Seconde Guerre mondiale, le palais fut reconstruit à
l'identique. Une merveille, siège de la chambre de commerce.
Bologne
l'Opulente
Dans le Quadrilatère, aux abords de la via
Clavature et de la via delle Drapperie, le flâneur stoppe net devant les
attractions. C'est le territoire des plaisirs de bouche, dont la ville tire une
de ses qualités légendaires. D'où son surnom, Bologna la Grassa, Bologne
l'Opulente, riche de mortadelles et de porchetta géantes, de jambons faits de
main de maître, de ragù onctueux, de nombrils de Vénus
(tortelloni fourrés à la ricotta), de dulci
in fundo(desserts), tartes au riz, aux myrtilles... Un triomphe de saveurs
et de parfums dans une atmosphère fort joviale.
Au détour des rues, on finit par se retrouver à
l'université. Un quartier entier de palais, où se concentrent les hauts lieux
de la culture, se rencontrent et se mélangent les savoirs les plus éloignés, et
dont l'histoire croise celle de grands personnages : Copernic, Laura Bassi,
première femme à enseigner en Europe, Marconi, l'inventeur de la
radioteléphonie, Umberto Eco, " Il Dottore ", auteur d'audacieux
thrillers historico-religieux, et dont les travaux sur saint Thomas d'Aquin lui
valurent une chaire de sémiologie. L'ancien site abrite aujourd'hui la
bibliothèque communale de l'Archiginnasio, la plus importante d'Italie. Ce qui
frappe dans ce palais à deux étages, c'est la très dense décoration qui
recouvre les parois des salles, les voûtes des galeries et des escaliers : un
ensemble unique de milliers d'écussons, de noms d'étudiants et de monuments
glorifiant les maîtres de l'université. La longueur et l'importance des
inscriptions n'étaient pas proportionnelles à la valeur affective des
professeurs. A l'intérieur domine le théâtre anatomique, tout en bois de cèdre,
dévolu à la dissection des cadavres, assurée par un barbier. Napoléon transféra
en 1803 l'étude au palazzo Poggi, via Zamboni. Ici même où fut retrouvé en mai,
dans les archives de l'Aula Mezzofanti, la plus vieille torah du monde, un rouleau
en peau de mouton du XIIe siècle, long de 36 mètres, en provenance d'un
monastère dominicain, après le démantèlement par Napoléon des ordres religieux.
Humanité et irrévérence
L'Alma Mater, 927 ans d'histoire, première
destination des étudiants Erasmus en Italie, se fond avec Bologne. C'est le
poumon de la ville : 87 000 étudiants, un quart de la population, à la vie
nocturne palpitante et qui semblent passer autant de temps dans les boutiques,
dans les osterie, que dans
les respectables bâtiments de l'université. Cette jeunesse débordante évite à
Bologne de devenir ville musée. Dans le carré de la piazza Giuseppe Verdi,
érudits révisant leurs leçons sous les arcades, professeurs en terrasse
cohabitent avec zonards, galériens et fumeurs de chichon. Des vélos en
pagaille, de toutes les tailles, de toutes les formes, de toutes les époques,
occupent des rues entières, rangés le long de murs, couverts d'une forêt de
petites annonces. La fresque murale du Christ mort, pleuré par la Vierge et des
saints, fait face à des façades défigurées par les œuvres subversives
d'artistes urbains. Fausses notes. Mais, au fond, on s'attache à cette ville,
mélange de caractères, d'époques, de styles, d'humanité et d'irrévérence,
patiné d'un vermillon dominant.
Retour par la place du Neptune, au carrefour des
anciennes voies romaines. Giambologna voulait donner à Neptune des organes
génitaux de belle taille, mais l'Eglise le lui interdira. Vexé ou coquin, il
travailla si bien le pouce du dieu des Mers que, sous un certain angle,
celui-ci semble un sexe en érection. Le trident, symbole de Maserati, fut copié
sur celui de la fontaine.
Le Point – du
Résumez |
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