dimanche 27 octobre 2013

Le droit du sol



En Europe, le droit du sol est réformé vers davantage de durcissement



Sept Français sur dix sont favorables à une réforme du droit du sol comme proposé par Jean-François Copé, selon un sondage de l'institut BVA pour Le Parisien. Dans les autres pays d'Europe, ce dernier est en recul.
Suffit-il de naître dans un pays pour en acquérir la nationalité? À cette question quasi-philosophique les États européens ont tenté de fixer des réponses claires, et surtout de les adapter au contexte économique. Dans notre pays, un enfant né en France de parents étrangers devient automatiquement français à ses 18 ans, à deux conditions: qu'il ait résidé au moins 5 ans sur notre territoire depuis l'âge de 11 ans et qu'il réside encore en France à ses 18 ans. Cette législation nous est héritée du XIXe siècle, à un moment où le pays était en besoin de travailleurs.
L' Allemagne est l'un des rares pays d'Europe à avoir assoupli sa législation vers davantage de droit du sol. Mais il faut préciser que le droit du sang a longtemps été la seule législation en vigueur. Impossible, avant la loi sur la nationalité de 2000, de devenir allemand sans avoir un parent allemand. Aujourd'hui, tout enfant né dans ce pays d'un parent étranger y résidant légalement depuis au moins 8 ans peut acquérir la nationalité allemande.
L'Italie et l'Espagne sont eux régis par le double droit du sol. Pour acquérir la nationalité, deux naissances doivent s'être déroulées sur le territoire: celle de l'enfant en question, et d'un de ses parents. La ministre italienne de l'Immigration a proposé d'introduire un «droit du sol tempéré» et donner, sous conditions d'intégration et de séjour légal, la nationalité aux enfants nés en Italie de parents étrangers. De nombreuses voix s'y sont opposées, notamment la Ligue du Nord et le populiste Beppe Grillo.
La Grande-Bretagne et l'Irlande, les deux Nations les plus attachées au droit du sol, ont toutes les deux durci leur législation. Auparavant, il suffisait d'y naître pour en obtenir la nationalité. La Grande-Bretagne a rompu avec cette tradition en 1983, exigeant pour devenir citoyen britannique qu'un des deux parents réside en permanence dans le pays. En 2004, les Irlandais ont voté un durcissement du droit du sol via un référendum. Un enfant né en Irlande de parents étrangers devient Irlandais si l'un des deux parents, durant les quatre années précédant la naissance, est allé légalement en Irlande pendant une période d'au moins trois ans.
En Belgique, l'enfant devient Belge si les parents résident depuis dix ans dans le pays et ce avant que ce dernier n'ait 12 ans. Au Danemark, un enfant né de parents étrangers devient Danois s'il a vécu dans le pays durant les 19 premières années de sa vie.

(Le Figaro – le 26 octobre 2013)






Une brève histoire du droit du sol


(….)
1. Quand les sujets devinrent le peuple
Jusqu'en 1789, dans le monde de la monarchie, être français, c'est tout simplement être un sujet du roi de France. Il est vrai que l'on peut devenir un de ces sujets par le simple fait de résider dans le royaume, mais cette "qualité" n'a d'intérêt que pour le roi lui-même : elle lui permet de ramasser à son profit l'héritage de l'individu au cas où il viendrait à mourir sans héritier. L'idée même d'un peuple français homogène, uni, et jouissant des mêmes droits est parfaitement anachronique. Nous sommes alors dans une société d'ordres, avec des gens fait pour obéir et payer les impôts (le Tiers Etat) et des gens fait pour les commander (la noblesse) ou assurer le salut de leur âme (le clergé).
C'est la Révolution française qui met fin à ces conceptions et accouche de celles qui sont les nôtres. A l'ouverture des fameux Etats Généraux (mai 1789), nous sommes encore dans le monde ancien, celui de la logique féodale : les trois ordres défilent séparément. Le Tiers, rejoint par des rebelles des deux autres ordres, refuse cet état de fait. Il fait le coup de force lors de la fameuse séance de la salle du Jeu de Paume, à Versailles (juin 1789). Le roi veut faire déloger ces impudents. Les députés refusent. Nos manuels ont retenu de l'épisode la phrase de Mirabeau : "nous sommes ici par la volonté du peuple et on ne nous en arrachera que par la puissance des baïonnettes". Bien plus intéressante était l'apostrophe lancée quelques instants auparavant par le député Bailly à l'envoyé du roi : "il me semble que la nation assemblée n'a d'ordre à recevoir de personne"C'est la grande rupture. Et la scène primitive de notre modernité française. Trois mois auparavant, s'adressant à son pays dans son discours d'ouverture aux Etats Généraux, Louis XVI disait "mes peuples" et ses peuples étaient formés de ses sujets. Désormais, il y a LE peuple, composé de citoyens, qui s'est proclamé souverain. La Nation est née. La question de savoir qui peut en faire partie ou non peut commencer à se poser dans les termes que nous connaissons.

2. Le XIXe siècle s'ouvre au droit du sol
Les révolutionnaires ne sont pas pour le droit du sang. Toutes les constitutions qui se succèdent durant la période révolutionnaire prévoient qu'on peut être français dès lors que l'on réside en France depuis un certain temps. Le droit du sang arrive avec le code civil de Napoléon. Lui-même, nous rappelle Patrick Weil, le grand spécialiste de ces questions, était favorable à l'accès le plus large à la nationalité, mais ses législateurs pensent autrement. On sera Français si ses parents le sont.
Peu à peu, de réformes en réformes, le XIXe siècle rompt avec ce principe et s'ouvre partiellement au droit du sol. La grande loi qui le consacre arrive en 1889. La France veut fabriquer des Français. Ceux qui sont nés et éduqués en France doivent le devenir. Pour le coup, il y a surtout, derrière ce généreux principe, des arrières pensées qui ne le sont pas tant. Le contexte est à la "revanche" après la défaite de 1870. Il faut se repeupler pour faire face au péril allemand. Les immigrés sont nombreux en France, en cette fin du XIXe siècle, des Belges dans le Nord, des Italiens dans le sud, des Espagnols au nord des Pyrénées. On en fait des citoyens pour en faire des soldats. Cette francisation à tour de bras n'est pas sans ambiguïté. La loi de 1889 intègre les milliers d'Européens, Italiens, Espagnols, Maltais, Allemands, qui se sont installés en Algérie et dont les descendants forment la majorité du million de pied noirs de 1962. Mais les musulmans n'y ont pas droit, ils sont toujours des indigènes, soumis à un statut de seconde zone.

3. Après l'affaire Dreyfus, les Français tranchent
Après la loi de 1889, d'autres textes seront adoptés (un texte très libéral en 1927, puis des textes plus restrictifs après). Il n'empêche. Les lois varient, le principe est là. Au-delà d'une machine à fabriquer du conscrit, ce fameux "droit du sol" a couronné une philosophie : être français n'est pas un héritage, c'est une adhésion à un projet commun, l'idée que tous ensemble, à un moment donné, quelle que soit notre origine, notre naissance, nos parents, nous décidions de notre avenir commun.
On cite souvent, comme base de ce principe, le fameux discours "qu'est-ce qu'une nation ?" que le philosophe Ernest Renan prononça à la Sorbonne, en 1882. On aurait tort d'oublier les nombreux ennemis de ce principe. Ils ont bientôt l'occasion de se déchaîner. Six ans après la loi de 1889 survient l'affaire Dreyfus. Les antidreyfusards, à coup de tribunes haineuses, de manifestations, de manipulations de la vérité, font valoir en creux leur conception de la nationalité française. Elle est défendue tous les jours par Charles Maurras dans "l'action française", son journal. L'antisémitisme y tient une part essentielle. Quand les preuves de l'innocence du capitaine sont établies, l'écrivain nationaliste Maurice Barrès, l'autre chef de file des antidreyfusards, n'en a que faire. Il écrit : "Que Dreyfus est capable de trahir, je le conclus de sa race".
La xénophobie n'est pas absente non plus de cette façon de penser. Le grand défenseur de Dreyfus est l'écrivain Emile Zola, auteur du fameux "J'accuse". Il est haï parce qu'il soutient l'officier juif mais aussi parce qu'il est un fils d'Italiens naturalisés. Le même Barrès : "Qu'est-ce que Monsieur Emile Zola ? Je le regarde à ses racines, cet homme-là n'est pas français". Tout est dit. Il y aurait des "vrais français", ceux qui ont du "sang gaulois" dans les veines, et les autres, les pas vraiment Français, les Français trop récents, les Français qui n'ont pas la bonne religion.
Après une décennie de combats acharnés, l'affaire Dreyfus se conclut par la victoire éclatante des Dreyfusards. Le capitaine est réhabilité. Les partis de tous ceux qui l'ont soutenu, Clemenceau, Jaurès, remportent les élections. Les Français ont donc tranché. La tradition française ne sera pas celle du sang, mais celle de l'ouverture, de l'intégration, de l'accueil.
(François Reynaert - "Le Nouvel Observateur")

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