lundi 21 janvier 2013

Ainsi va la vie au Louvre-Lens




Un mois après son inauguration, le nouveau musée a déjà accueilli 140.000 personnes. Reportage.

Lens, Lens. Trois minutes d'arrêt, dit le contrôleur de la SNCF, calme et droit sous sa casquette de travers. Il y aurait à la base cette idée de politique de décentralisation à l'instar de la Tate Liverpool ou du ­Guggenheim de Bilbao. Après le Centre Pompidou à Metz, Le Louvre à Lens. Alors, c'est parti et le temps se fond dans l'espace: dès la sortie de la gare, les maisons de briques rouges vous accueillent et vous plongent, rudes, dans l'ambiance du Pas-de-Calais, des corons, au beau passé minier. Elles ne sont pas laides, ces constructions, mais elles sont, style Art déco, avouons-le, quelque peu déprimantes. Joyeuses fêtes. Sur la gauche, donc, à la sortie de la gare, une gentille navette gratuite attend le visiteur: Lens n'est pas peu fière de son Louvre «hors les murs». C'est que Lens compte sur son nouveau musée pour se redonner le moral, se refaire la cerise. «C'est notre Annapurna!», dit le chauffeur de bus. Une si bonne idée…

L'arrivée au musée, construction imaginée par l'agence d'architecture ­japonaise Sanaa, est impressionnante. Elle sent encore le chalumeau, elle sent la beauté verrière, quelle remarquable muséographie! Nous y sommes donc mais en ce dimanche, à deux jours de Noël, malheureusement, bien peu de monde. Cette femme, par exemple, qui passe le portique de sécurité: «Vous avez un parapluie?», lui demande un agent. «Non, j'ai une baguette de pain». On lui rétorque: «Vous savez qu'il est interdit de casser la croûte dans les galeries? “Ah oui, à cause des miettes!», répond-elle. La femme, privée de son quignon, y va plutôt gaiement et se dirige direct vers La liberté guidant le peuple de Delacroix, le clou du spectacle, en sang et en or.

«Ah, ça n'a pas vieilli!»

Avant d'y accéder, tout une avenue qui nous guide dans le temps. Commence ainsi la visite, grandiose. Des enfants, ici et là, qui jouent, bien sûr, et qui s'endorment, malheureux d'ennui, sur des bancs en cuir. Il y en a un, 5 ans à tout casser, qui tout charmant, bonnet de père Noël sur la tête, caresse les pieds froids de D'Alembert sculpté par Félix Lecomte. Une femme handicapée ­s'interroge sur le portrait de Diderot signé Fragonard. Une guide lui apprend qu'il ne s'agit pas, en fait, de l'écrivain. Le tableau a été rebaptisé: Figure de fantaisie.

Et ce groupe d'adolescentes devant la sculpture d'un Jupiter châtré: il a une lance brisée par le temps dans la main. Une des jeunes filles à sa copine: ­«Regarde, il n'a pas de b…?» L'autre: «Si, il a son dard, si tu regardes bien, dans sa main gauche!» Un peu plus loin, un père dit à sa fille que Rubens avait plus le sens des couleurs que Raphaël. Tout fiérot, un homme confie à sa femme, en admirant le saint Sébastien assez érotique de Pietro di Cristoforo Vannucci dit Le Perugin: «Ah, ça n'a pas vieilli! Ça, c'est de la peinture à l'huile ou je ne m'y connais pas! Les couleurs sont assez gaies, tu ne trouves pas, chérie?» Un peu plus tard, deux petits vieux en cardigan et pantalon velours côtelé, casque de l'audioguide sur les oreilles, parlent si fort qu'on entend qu'eux. Ils s'entretiennent de dinde et de marrons tout en contemplant la Sainte Annede Léonard de Vinci.

Ainsi va la vie d'un musée. Il y a beaucoup de Hollandais. Il y a beaucoup d'Italiens et d'Espagnols. Quelques Allemands. Des Belges, bien sûr. Eh oui! il y a aussi des Belges qui viennent en France. Comme quoi, tout n'est pas perdu.

 Le figaro du  08-01-2013   par A. Palou    
 
 

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