jeudi 6 décembre 2012

L'hypocondrie française



Qu'est-ce qu'un optimiste ? Quelqu'un qui pense que son pays est sur la bonne voie ou que, s'il flageole, il suffit de se retrousser les manches pour le redresser. 
Autrement dit, quelqu'un qui est américain, allemand, chinois, brésilien, ghanéen, ivoirien, marocain ou indonésien, mais surtout pas français, puisque notre pays était, l'année dernière encore, le plus pessimiste du monde, plus que l'Irak ou l'Afghanistan.
S'il faut trouver les responsables de cette situation, inutile de les chercher loin. Ils sont partout, et les moindres ne sont pas nos chers médias qui, pendant des décennies, nous ont bassinés avec la "crise", comme des mainates écervelés, alors que le pouvoir d'achat et le produit intérieur brut augmentaient à grande vitesse.
Aujourd'hui, hélas, nous n'en sommes plus là. Après trente ans de bêtises et de lâchetés, où nous avons dépensé bien plus que nous ne produisions, la crise a fini par nous frapper. Au moins quelques mesures ont-elles été prises, depuis peu, par le pouvoir, notamment sur la baisse du coût du travail, qui vont dans le bon sens. C'est pourquoi la dégradation de l'économie française par l'agence de notation Moody's n'a pas été la catastrophe annoncée pour nos taux d'intérêt.
La France a connu dans son histoire des époques où son endettement public était bien plus grave qu'aujourd'hui, notamment après la Seconde Guerre mondiale, juste avant les Trente Glorieuses, trente années pendant lesquelles l'économie a décollé jusqu'aux "Trente Honteuses" qui, de 1981 à aujourd'hui, nous ont fait tomber là où nous sommes.
Certes, les Français, leurs médias et leurs politiciens ont longtemps vécu dans le déni, refusant de reconnaître les dangers de l'endettement actuel provoqué par une explosion éhontée de la dépense publique. Maintenant que leurs yeux et ceux d'une grande partie de la classe politique, y compris à gauche, sont enfin dessillés, on peut commencer à respirer, même si le dur est devant nous.
Mais on ne se refait pas : ces derniers temps, les professionnels de l'hypocondrie française ont trouvé, sur le mode atrabilaire, de nouvelles raisons de broyer du noir. Les petits meurtres entre amis à l'UMP, le cynisme de Copé, les rodomontades de Montebourg, la croisade anti-Église de Duflot, les "cas de conscience" des écologistes ou des communistes, pardonnez l'oxymore ("figure qui consiste à allier deux mots de sens contradictoire", selon le Littré).
Un mot sur les dernières divagations de Cécile Duflot, qui intime l'ordre aux autorités catholiques d'héberger les sans-logis, évoquant même la possibilité de réquisitions. La ministre du Logement ne peut pas ignorer que, si l'Eglise a un grand patrimoine immobilier à Paris, elle met volontiers des salles à la disposition des nécessiteux dès qu'elles sont conformes aux réglementations sur l'hygiène et la sécurité. Qu'importe, pourvu que notre chefaillonne fasse parler d'elle sur la Toile avec une proposition débile qu'elle n'a pas étendue, ça va de soi, aux palais officiels dont elle cire frénétiquement les parquets. De quoi en effet désespérer de la politique.
Si Duflot duflotte, faut-il appeler police-secours ? S'il y a eu de la fraude et du putsch dans l'air à l'UMP, le pays tout entier doit-il se manger les sangs ? Tout cela n'est que le bruit de fond de l'écume des jours : nos vrais défis sont avant tout économiques. Aux désillusionnés de la politique en général et de la droite en particulier on ne peut que conseiller d'aller prendre ailleurs quelques bouffées d'oxygène avant de retrouver les effluves des arrière-cuisines des partis.
N'en déplaise aux pleureuses, aux scrogneugneux et aux agités du bocal, la France a encore quelque chose dans le coeur et dans le ventre. En témoigne le succès de Populaire, un film-phénomène qui se déroule pendant les années 50 et qui redonnerait la joie de vivre à un mort sous sa terre. Une piqûre d'optimisme façon Trente Glorieuses, une leçon de bonheur après laquelle on a envie de dire : "Grincheux n'est pas français."
Nouvel adepte de la politique de l'offre, François Hollande devrait y songer : alors qu'arrive l'heure des comptes et des efforts, il y a une France qui croit encore en elle-même et qui n'est pas encore prête pour la fin du monde prétendument annoncée pour le 21 décembre par le calendrier maya. Il n'est pas nouveau que la politique française nous donne un spectacle si lamentable. C'est juste une habitude à prendre.
Sur nos politiciens Charles de Gaulle avait déjà tout dit quand, à propos d'Albert Lebrun, le dernier président de la IIIe République, il notait : "Au fond, comme chef de l'État, deux choses lui avaient manqué : qu'il fût un chef et qu'il y eût un État." Apparemment, Albert Lebrun a fait beaucoup de petits.

FRANZ-OLIVIER GIESBERT- lepoint.fr du 06-12-2012



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