Le
4 novembre 1981, le conseil des ministres, présidé par François Mitterrand,
publiait le communiqué suivant : "Le ministre du travail a
présenté son rapport sur les droits des travailleurs. Le conseil des ministres
en a adopté les principes et les orientations. Il a souhaité que les
transformations dans les relations du travail résultent du dialogue social plutôt
que des procédures réglementaires. La négociation doit devenir le
mode normal des relations sociales dans notre pays."
Le
9 juillet, le président François Hollande déclarait à l'ouverture de
la grande conférence sociale : "Il faut retrouver le
sens du dialogue. En faire un principe de notre vie démocratique et renforcer les
représentants qui sont plus qualifiés pour mener à bien les négociations.
C'est pourquoi je confirme ici que je souhaite, si le Parlement y consent et si
les partenaires sociaux y adhèrent, inscrire dans la Constitution le
rôle du dialogue social."
Il est significatif
de retrouver, à trente ans d'intervalle, la même priorité de la gauche en
faveur de la démocratie sociale : des réponses négociées aux préoccupations du
monde du travail, en s'appuyant sur l'intelligence collective et le respect des
corps intermédiaires. Allant au bout de cette logique politique, le
président de la République y a même ajouté des perspectives constitutionnelles.
Cette
invention d'un "dialogue social à la française" est un long combat.
Les ambitions de 1981, faire des salariés des "citoyens
à part entière dans l'entreprise" et "des acteurs du
changement", ont marqué une avancée considérable, mais sont
encore insuffisamment mises en oeuvre. Elles doivent trouver une nouvelle
dynamique utile au monde du travail, aux salariés, aux entreprises, comme au
pays entier.
Trente
ans après les lois de 1982, de nouveaux enjeux sont apparus. Accélération des
mutations économiques, compétition mondiale, défis écologiques : l'instabilité
est permanente, au-delà des crises qui se succèdent. La responsabilité des
partenaires sociaux est devenue majeure pour donner à la
compétitivité la dimension globale qui lui est nécessaire : économique bien
sûr, mais avec et par la cohésion sociale. Penser la compétitivité
comme un curseur à faire glisser où “davantage de performance
économique" passerait par "moins de cohésion
sociale" est une erreur profonde. Pis, une faute. Pour les
progressistes que nous sommes, ces deux dimensions se nourrissent, se
renforcent l'une l'autre. L'objet de la négociation sociale n'est pas d'organiser,
au gré des rapports de force, la victoire des uns contre la défaite des autres.
Au contraire, elle est la voie d'un progrès qui ne veut que des gagnants !
A
cet égard, les négociations ouvertes par la grande conférence sociale
constituent un moment de vérité qui peut marquer notre histoire
économique et sociale. Le succès de la première de ces négociations - la
signature unanime de l'accord sur le contrat de génération - est un signe très
positif. Il y a urgence ! Il est temps de se doter de nouveaux
instruments d'anticipation permettant de partager les visions du devenir de
l'entreprise, de l'évolution de l'emploi et des compétences, et d'en
débattre. Au-delà de l'entreprise, l'horizon doit s'élargir au tissu de
sous-traitants qu'elle fait vivre et qui la font vivre, comme à
une filière ou à un territoire. Il devient alors possible de négocier en amont
pour trouver des solutions, s'adapter sans heurts, moderniser sans exclure.
Il
est temps d'apporter de nouvelles sécurités aux travailleurs contre
les précarités du marché du travail. Le CDI doit redevenir la norme.
Le CDD ou l'intérim doivent être l'exception et ouvrir à des droits
nouveaux. Il est temps d'imaginer des dispositifs de maintien dans
l'emploi qui, en période de crise, empêchent que le chômage ne tombe comme un
couperet sur le salarié, tranchant ses droits sociaux, ses relations humaines
et professionnelles, ses compétences et même son estime de soi.
Il
est temps qu'une sécurisation des procédures de licenciement collectif
s'accompagne d'une meilleure efficacité des dispositifs de reclassement des
salariés. Là encore, quelle meilleure garantie que celle de la négociation dans
l'entreprise pour y parvenir ? Nous ne méconnaissons pas les
difficultés qui attendent les parties à ces négociations : le monde du travail
est traversé d'intérêts qui se confrontent. Deux siècles d'histoire sociale en
attestent, autant que le quotidien de millions de travailleurs. La négociation
n'est pas l'effacement de cette confrontation, elle en est une expression
constructive. Elle n'est pas renoncement, elle est dépassement.
Le
dialogue social est notre combat et notre méthode. Le temps est venu, inscrit
dans notre longue histoire sociale, pour que les forces vives du pays
démontrent qu'elles possèdent la volonté, les compétences et la créativité
nécessaires pour franchir une nouvelle étape. Le monde du travail nous
attend !
LE MONDE | 13.11.2012
Par Jean Auroux,
ancien ministre et Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi et du
dialogue social
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