mercredi 14 novembre 2012

La compétitivité passe par le dialogue social




Le 4 novembre 1981, le conseil des ministres, présidé par François Mitterrand, publiait le communiqué suivant : "Le ministre du travail a présenté son rapport sur les droits des travailleurs. Le conseil des ministres en a adopté les principes et les orientations. Il a souhaité que les transformations dans les relations du travail résultent du dialogue social plutôt que des procédures réglementaires. La négociation doit devenir le mode normal des relations sociales dans notre pays."
Le 9 juillet, le président François Hollande déclarait à l'ouverture de la grande conférence sociale : "Il faut retrouver le sens du dialogue. En faire un principe de notre vie démocratique et renforcer les représentants qui sont plus qualifiés pour mener à bien les négociations. C'est pourquoi je confirme ici que je souhaite, si le Parlement y consent et si les partenaires sociaux y adhèrent, inscrire dans la Constitution le rôle du dialogue social."
Il est significatif de retrouver, à trente ans d'intervalle, la même priorité de la gauche en faveur de la démocratie sociale : des réponses négociées aux préoccupations du monde du travail, en s'appuyant sur l'intelligence collective et le respect des corps intermédiaires. Allant au bout de cette logique politique, le président de la République y a même ajouté des perspectives constitutionnelles.
Cette invention d'un "dialogue social à la française" est un long combat. Les ambitions de 1981, faire des salariés des "citoyens à part entière dans l'entreprise" et "des acteurs du changement", ont marqué une avancée considérable, mais sont encore insuffisamment mises en oeuvre. Elles doivent trouver une nouvelle dynamique utile au monde du travail, aux salariés, aux entreprises, comme au pays entier.
Trente ans après les lois de 1982, de nouveaux enjeux sont apparus. Accélération des mutations économiques, compétition mondiale, défis écologiques : l'instabilité est permanente, au-delà des crises qui se succèdent. La responsabilité des partenaires sociaux est devenue majeure pour donner à la compétitivité la dimension globale qui lui est nécessaire : économique bien sûr, mais avec et par la cohésion sociale. Penser la compétitivité comme un curseur à faire glisser où “davantage de performance économique" passerait par "moins de cohésion sociale" est une erreur profonde. Pis, une faute. Pour les progressistes que nous sommes, ces deux dimensions se nourrissent, se renforcent l'une l'autre. L'objet de la négociation sociale n'est pas d'organiser, au gré des rapports de force, la victoire des uns contre la défaite des autres. Au contraire, elle est la voie d'un progrès qui ne veut que des gagnants !
A cet égard, les négociations ouvertes par la grande conférence sociale constituent un moment de vérité qui peut marquer notre histoire économique et sociale. Le succès de la première de ces négociations - la signature unanime de l'accord sur le contrat de génération - est un signe très positif. Il y a urgence ! Il est temps de se doter de nouveaux instruments d'anticipation permettant de partager les visions du devenir de l'entreprise, de l'évolution de l'emploi et des compétences, et d'en débattre. Au-delà de l'entreprise, l'horizon doit s'élargir au tissu de sous-traitants qu'elle fait vivre et qui la font vivre, comme à une filière ou à un territoire. Il devient alors possible de négocier en amont pour trouver des solutions, s'adapter sans heurts, moderniser sans exclure.
Il est temps d'apporter de nouvelles sécurités aux travailleurs contre les précarités du marché du travail. Le CDI doit redevenir la norme. Le CDD ou l'intérim doivent être l'exception et ouvrir à des droits nouveaux. Il est temps d'imaginer des dispositifs de maintien dans l'emploi qui, en période de crise, empêchent que le chômage ne tombe comme un couperet sur le salarié, tranchant ses droits sociaux, ses relations humaines et professionnelles, ses compétences et même son estime de soi.
Il est temps qu'une sécurisation des procédures de licenciement collectif s'accompagne d'une meilleure efficacité des dispositifs de reclassement des salariés. Là encore, quelle meilleure garantie que celle de la négociation dans l'entreprise pour y parvenir ? Nous ne méconnaissons pas les difficultés qui attendent les parties à ces négociations : le monde du travail est traversé d'intérêts qui se confrontent. Deux siècles d'histoire sociale en attestent, autant que le quotidien de millions de travailleurs. La négociation n'est pas l'effacement de cette confrontation, elle en est une expression constructive. Elle n'est pas renoncement, elle est dépassement.
Le dialogue social est notre combat et notre méthode. Le temps est venu, inscrit dans notre longue histoire sociale, pour que les forces vives du pays démontrent qu'elles possèdent la volonté, les compétences et la créativité nécessaires pour franchir une nouvelle étape. Le monde du travail nous attend !
LE MONDE | 13.11.2012 Par Jean Auroux, ancien ministre et Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social




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