Le "lean", mode d'organisation du travail sans "gras" qui vise à faire la chasse au gaspillage, se répand dans les entreprises depuis quelques années, bien au-delà de l'industrie où il est né, suscitant de vifs débats entre les défenseurs du concept et ses détracteurs.
Venu du Japon,
il séduit certaines entreprises par les gains de productivité spectaculaires
qu'il peut engendrer (jusqu'à + 30 %) mais est souvent vu par les salariés et
les syndicats comme un facteur de dégradation des conditions de travail.
D'abord présent dans l'industrie, le lean (maigre en
anglais), qui consiste notamment à éliminer le superflu (temps morts, gestes
inutiles, temps d'attente, déplacements, stocks excessifs, non-qualité, etc.)
gagne tous les secteurs, y compris les services où la méthode "coince"
particulièrement, selon les experts.
Les
équipementiers automobiles Valeo et Michelin ont été des précurseurs,
mais le lean serait aujourd'hui à l'œuvre au sein de groupes aussi divers que
Louis Vuitton, PSA, BNP Paribas, Danone ou Philips, ainsi que certains services
publics comme Pôle emploi.
Selon
Philippe Rouzaud, auteur de Salariés,
le lean tisse sa toile et vous entoure... , le concept
originel repose sur deux conditions importantes : "une amélioration
permanente et continue et le fait d'aller chercher la parole auprès des
salariés".
Il s'accompagne de "promesses d'amélioration des
conditions de travail", explique l'expert auprès des comités d'hygiène et
de sécurité (CHSCT) au sein du cabinet Secafi, souvent appelé à intervenir
lorsque le lean pose problème. L'idée, résume-t-il, est de dire que, puisque le
salarié faisait des choses inutiles, il prendra du plaisir à ne plus les faire.
Mais dans les faits, ces gains de productivité posent souvent la question du
bien-être des salariés, lorsque par exemple sont supprimés les déplacements
"inutiles", qui permettent de souffler.
En outre, a-t-il expliqué lors d'une rencontre de
l'Association des journalistes de l'information sociale (Ajis), sa mise en
oeuvre échoue dans près de 90 % des cas, car les entreprises retiennent avant
tout l'aspect productivité.
"On joue aux apprentis sorciers"
"Oui, le lean, malheureusement, est un outil très
performant", résume-t-il. Mais, "on se rend compte, compte tenu de la
conjoncture, que, derrière de nombreux programmes utilisant les outils du lean,
il y a des suppressions de postes".
Éric Queyssalier, consultant chez Progress Partners, qui
aide des entreprises à mettre en place le lean, défend de son côté la méthode
qui conduit à une "vraie valorisation du travail". Mais il admet que
les Européens n'ont peut-être "pas tout compris".
Lorsqu'il est dévoyé, "le lean apporte de
l'intensification du travail" et s'avère générateur de risques
psychosociaux, de troubles musculo-squelettiques, etc., souligne M. Rouzaud.
En
2006, un rapport du Centre d'étude de l'emploi (CEE) notait ainsi une
dégradation des conditions de travail en Europe dans les organisations en
"lean", par rapport aux autres organisations, y compris tayloriennes.
L'ergonome Emmanuelle Florence souligne en outre qu'il
s'agit d'un procédé très coûteux à mettre en place qui exige une
"reconsidération totale des modes de pensée, donc, en général, les
entreprises ne reviennent pas en arrière".
"On
est en train de jouer aux apprentis sorciers sur la santé et les conditions de
travail en France. On en verra les conséquences dans six mois, un an, ou deux ans",
prévient M. Rouzaud.
Récemment,
le tribunal de grande instance de
Nanterre a donné une arme aux
représentants du personnel, par une décision qui devrait faire jurisprudence :
la mise en œuvre du lean doit faire l'objet d'une consultation du CHSCT.
(source AFP)
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