dimanche 31 octobre 2010

Pourquoi la jeunesse se révolte ?

(…) Si la jeunesse est dans la rue et si elle réagit si vivement ces deux dernières semaines ce n’est pas tant à cause du contenu de la réforme que de la charge symbolique qu’elle représente.


C’est une évidence de le rappeler, les perspectives d’avenir dans une société en crise apparaissent précaires, et même risquées. Face à cela, le lycée apparaît pour tous les jeunes qui le fréquentent comme un lieu globalement protégé, qui les respecte, en permettant notamment à ceux qui le souhaitent de découvrir des connaissances et des technologies variées. C’est un espace de liberté pour les belles années de l’adolescence, et la nostalgie qui nourrit le succès des sites Internet d’anciens amis(es) des lycées prouve que cette vision n’est pas nouvelle, mais elle se renforce aujourd’hui par contraste avec l’âpreté du monde qui l’entoure. Enfin, le baccalauréat est un diplôme - avec valeur de symbole et de rituel - qui apparaît comme accessible, même s’il est dorénavant entendu comme un passeport vers des études supérieures.

En avançant une réforme partielle, où le calendrier et la communication semblaient primer sur les orientations et les explications, le ministre a - qu’il le veuille ou non - provoqué un sentiment d’agression. Il se fonde sur une inquiétude et un ressentiment qui ne tiennent pas tant au contenu de la réforme qu’au contexte dans lequel elle s’inscrit. Les suppressions de postes dans l’éducation nationale, le report de l’âge de la retraite, le travail du dimanche - par exemple - sont venus constituer un bruit de fond renforçant le sentiment de menace. C’est dans ce contexte que la réforme est venue percuter de plein fouet l’attachement à l’espace privilégié que constitue le lycée pour les jeunes de ce pays.

Cela veut-il dire que la réforme était complètement mauvaise ? Non, car elle reprenait des pistes intéressantes et anciennes, comme les modules. Mal amenée ? Oui, car elle avançait sur des objectifs généraux sans expliquer les conséquences concrètes dans les lycées, malgré le fait que certains syndicats aient joué le jeu de la négociation jusqu’au bout. Cela veut-il dire qu’il est impossible de réformer l’éducation nationale dans ce pays ? Il faut espérer que non. Car derrière les atouts indéniables de la forme actuelle du lycée, il existe une sélection sévère dont les options sont hélas souvent les instruments subtils, et dont pâtissent beaucoup les élèves issus de milieux sociaux fragiles. Ajoutons à cela qu’aux marches du lycée se développent à grande vitesse des entreprises privées de soutien scolaire qui fleurissent sur le manque de souplesse du système éducatif actuel. Enfin, l’orientation des élèves est un échec national qui aboutit à mettre beaucoup de nos jeunes dans des situations d’échec dans les études secondaires ou supérieures.

Une réforme est donc nécessaire, mais elle ne pourra se faire sans qu’il existe un climat de confiance qui, à l’évidence, a été sapé par le contexte politique général et les mesures actuelles du gouvernement, soucieux d’enchaîner les mesures à marche forcée. Le flou et la précipitation de la réforme annoncée sont venus l’amplifier.

L’inquiétude actuelle de la jeunesse sur son avenir est légitime. Il n’est guère surprenant qu’elle se montre méfiante et rebelle quand il s’agit de toucher au lycée, seul lieu protégé avant le grand saut dans l’incertitude. Toute réforme future doit aussi prendre en compte cette dimension sans mépris.

(d’après liberation.fr- Par CHRISTOPHE PORQUIER conseiller principal d’éducation à Amiens)

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