vendredi 4 octobre 2013

Lampedusa : reprise des recherches des 200 disparus






Le navire parti de Libye transportait 450 à 500 migrants et seulement 150 environ ont été sauvés, ce qui laisse craindre un bilan d'environ 300 morts.

Les recherches devaient reprendre vendredi matin au large de l'île italienne de Lampedusa, où plus de 130 migrants sont morts et quelque 200 sont portés disparus après le naufrage jeudi de leur bateau. Selon les autorités, le navire parti de Libye transportait 450 à 500 migrants et seulement 150 environ ont été sauvés, ce qui laisse craindre un bilan d'environ 300 morts pour la pire tragédie de l'immigration de ces dernières années. "On n'a plus de place, ni pour les vivants ni pour les morts", déclarait jeudi, effondrée, la maire de Lampedusa, Giusi Nicolini. "C'est une horreur, une horreur ; ils n'arrêtent pas d'apporter des corps." Plus de 130 corps avaient déjà été repêchés lorsque les recherches ont été interrompues jeudi soir. Elles ont repris vendredi matin autour de l'épave du bateau qui gît retournée par 40 mètres de fond à 0,3 mille nautique (550 mètres) des côtes de la petite île sicilienne."Il y a encore plein de cadavres. On ne peut pas dire combien ; ils sont tous serrés les uns contre les autres, on ne voit que les premiers", a expliqué à la chaîne SkyTG24 l'un des sauveteurs, Giovanni de Gaetano, visiblement sous le choc. "Nous voulons en remonter le plus possible à la surface pour les rendre si possible à leurs familles", avait ajouté l'un de ses collègues, les yeux rougis par la fatigue.En surface, les recherches se sont poursuivies dans la nuit pour le cas où des corps flotteraient à la surface, mais "nous n'avons plus d'espoir de retrouver des survivants", a déclaré à l'AFP un membre de la Garde des finances, la police financière qui opère aussi dans le secteur. Au moins 40 nouveaux cadavres avaient été découverts jeudi soir par des plongeurs des garde-côtes, dans et autour de l'embarcation. Des médias ont parlé d'une centaine de corps dont ceux de femmes et d'enfants, venant alourdir un précédent bilan officiel de 93 morts. "C'était tragique de voir les corps des enfants", a déclaré Pietro Bartolo, un responsable sanitaire de l'île. Selon lui, Lampedusa "n'a pas assez de cercueils" et a dû en faire acheminer par avion.
Rome a décrété vendredi "deuil national" et une minute de silence sera observée dans toutes les écoles ainsi qu'avant tous les matches de football du championnat. Le vice-Premier ministreAngelino Alfano, dépêché sur place, a confirmé à l'AFP que le skipper du bateau avait été arrêté. "C'est un Tunisien de 35 ans qui avait été expulsé d'Italie en avril", a-t-il précisé. Les migrants, en majorité des Somaliens et Érythréens, étaient partis des côtes libyennes, depuis le port de Misrata.
Le bateau de pêche a commencé à prendre l'eau et "de peur qu'il ne coule, les migrants ont enflammé une couverture (pour attirer l'attention, ndlr), mais cela a provoqué un incendie, puis le navire a chaviré", selon M. Alfano.

"Un océan de têtes"

Un pêcheur, Rafaele Colapinto, a expliqué être venu en aide à des migrants : "On a vu un océan de têtes, on a mis une demi-heure pour embarquer chacun d'entre eux car ils glissaient à cause du gazole" répandu à la surface de la mer.
Une jeune Érythréenne encore en vie a été retrouvée parmi les cadavres déposés dans un hangar, après qu'un sauveteur eut remarqué qu'elle respirait encore. Placée en réanimation à l'hôpital de Palerme, en Sicile, elle se trouve dans un état grave, déshydratée, en hypothermie, atteinte d'une pneumonie après avoir ingéré, comme les autres victimes, du gazole échappé du bateau.
Mme Nicolini a envoyé un télégramme amer au Premier ministre Enrico Letta lui demandant de "venir compter les morts avec (elle)" et a accusé l'Europe de "détourner le regard (..) face à l'énième massacre d'innocents qui a lieu devant (son) île". Elle a rappelé que Lampedusa, plus proche des côtes nord-africaines que de la Sicile, est "depuis des années" la destination des immigrés clandestins. "C'est un drame européen, pas seulement italien", a expliqué M. Alfano, en demandant que l'Italie, où ont afflué 25 000 migrants cette année (trois fois plus qu'en 2012), puisse étendre ses patrouilles "au-delà de ses eaux territoriales".
La ministre de l'Intégration Cécile Kyenge, première Noire dans un gouvernement italien, a réclamé l'instauration de "couloirs humanitaires pour rendre plus sûres ces traversées sur lesquelles spéculent des organisations criminelles".

"Une honte"

Le président Giorgio Napolitano a demandé à "l'Europe de stopper le trafic criminel d'êtres humains en coopération avec les pays de provenance" et réclamé "la surveillance des côtes d'où partent ces voyages du désespoir et de la mort".
Le pape François, qui s'était rendu pour son tout premier voyage hors de Rome à Lampedusa début juillet, a parlé de "honte" face aux "nombreuses victimes de cet énième naufrage". Il devrait redire vendredi lors d'une visite à Assise (centre), ville du saint dont il a choisi le nom, son rejet de "la culture du déchet", qui tend à écarter, marginaliser, voire éliminer les plus faibles dans la société, parmi lesquels il classe les immigrés clandestins.
Selon le réseau d'ONG Migreurop à Paris, en vingt ans, 17 000 migrants sont morts en tentant de rallier l'Europe. La dernière tragédie la plus meurtrière remonte à juin 2011, quand 200 à 270 migrants originaires d'Afrique subsaharienne et fuyant la Libye s'étaient noyés en tentant de gagner Lampedusa..
Source AFP






Lampedusa : "C'est un drame immense qui se joue dans l'indifférence générale"

Jean-Léonard Touadi est ancien député du Parti Démocrate italien, battu lors des dernières législatives. Il a également été maire adjoint de Rome. Il est spécialiste des questions migratoires au sein de son parti et conseiller au ministère des affaires étrangères. Les questions d'immigration le touchent de près puisqu'il est lui-même originaire de la République du Congo (Congo-Brazza). Jean-Léonard Touadi s'est installé en Italie en 1978.

Cette dernière tragédie au large de Lampedusa ne vous étonne pas ?

Elle ne m'étonne pas du tout. Pour décrire cette situation, on peut reprendre le titre d'un célèbre film italien "chronique d'une mort annoncée". L'ampleur de cet accident nous bouleverse mais la Méditerranée, comme un dragon méchant, engloutie chaque jour, chaque nuit, des candidats à l'émigration. C'est un drame quasiment sans statistique. Il y a un jeune journaliste italien qui a tenté d'en dresser dans son blog, Fortress Europe, et d'après ses estimations, depuis 1988, environ 20 000 personnes ont péri en tentant de traverser la Méditerranée. Il s'agit donc d'un drame immense qui se joue dans l'indifférence générale aux portes de l'Europe alors que le Méditerranée est devenue un gigantesque cimetière à ciel ouvert.

Le pape François a effectué sa première visite pastorale à Lampedusa. Il a parlé ici de la globalisation de l'indifférence. Ces morts nous interpellent au plus profond des ressorts éthiques, économiques, géopolitiques et culturels de nos sociétés. Il y a une sorte de gigantesque refoulement. On ferme les yeux sur ce drame car les ouvrir signifierait qu'il faut s'interroger sur nos responsabilités par rapport au modèle économique, aux échanges inégaux entre nos sociétés et ces pays, à une globalisation de l'injustice qui n'a pas suivi la globalisation des flux financiers et des marchés.
Les drames se succèdent mais le flot de réfugiés ne tarit pas. Pourquoi ?
Les destins personnels de ces jeunes, car ce sont souvent de très jeunes personnes, notamment des femmes et des enfants, tracent la géographie des instabilités autours de la Méditerranée. Ils tracent la géographie des conflits dans la Corne de l'Afrique comme en Somalie ou en Erythrée, des guerres identitaires qui se jouent au Mali, au Niger ou au Nigeria. Plus récemment, les flux qui nous arrivent par la Turquie nous parlent du drame syrien. Le flux ne tarit pas parce que les facteurs d'expulsion que sont les instabilités politiques, les conflits et la grande guerre de la pauvreté se sont aggravés.
Quelles sont les routes employées par ces migrants pour arriver jusqu'aux rives méditerranéennes ?
La route la plus classique vers l'Europe était celle du Maroc mais ce flux s'est tari à cause des politiques restrictives menées par le Maroc et l'Espagne. Il y a également des flux depuis la Tunisie et la Libye. Ce dernier pays est un cas d'école. L'instabilité de la Libye et l'incapacité des autorités de Tripoli à contrôler l'ensemble de leur territoire a provoqué une immense porosité des frontières libyennes soit sur le flanc du désert du Sahara, soit sur le flanc égyptien avec tous les migrants qui arrivent du Sinaï. Il y a encore une autre source avec la Turquie qui concernent surtout les Syriens. Aujourd'hui, il n'y a pas que Lampedusa qui est proche des côtes libyennes mais tout le sud de l'Italie qui est concerné. La Sicile, la Calabre sont désormais également touchées.
Comment jugez-vous l'action européenne sur ces questions migratoires ?
La prise de conscience européenne est tout à fait insuffisante. L'Italie n'est plus seulement une frontière nationale, elle est désormais une frontière européenne. Il y a une certaine solitude des autorités et de l'opinion publique italienne alors que ces dernières années l'Europe s'est faite sentir du point de vue de la rigueur financière, des paramètres économiques. Seulement quand il s'agit d'être solidaire de l'Italie s'agissant de la gestion flux migratoires, de l'accueil des migrants alors que les populations siciliennes et calabraises ont fait preuve d'une grande générosité , l'Europe n'a pas pris conscience du problème.
Il n'y a pas de coordination suffisante. Comme il n'y a pas de politique étrangère européenne, les accords bilatéraux entre les états riverains de la Méditerranée ne sont pas conduits au niveau de l'Union européenne et surtout la coopération avec les pays du sud qui a pour objectif d'aider à une certaine intégration économique et donc une gestion des flux migratoires, tout cela reste au stade déclamatoire, dans les textes mais jusque-là hélas nous attendons encore une réalisation concrète.
Les migrants l'ont d'ailleurs compris. Quand ils arrivent en Italie, ils savent qu'ils mettent pied en Europe. Ils refusent de se faire identifier avec leurs empreintes digitales par les autorités italiennes car cela les empêcherait d'atteindre leur objectif final et de rejoindre des parents installés en France, en Allemagne ou en Angleterre. Les migrants l'ont compris mais l'Europe pas encore.



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