- Mais, ma chérie, je pensais que tu serais contente. Tu ne sors jamais, et
c'est une occasion, cela, une belle!
J'ai eu une peine infinie à l'obtenir. Tout le monde en veut; c'est très recherché
et on n'en donne pas beaucoup aux
employés. Tu verras là tout le monde officiel. »
Elle le regardait d'un œil irrité, et elle déclara avec impatience: « Que veux-tu que je me mette sur le dos
pour aller là? » Il n'y avait pas songé; il balbutia : « Mais la robe avec laquelle tu vas au
théâtre. Elle me semble très bien, à moi...
Il se tut, stupéfait, éperdu, en voyant que sa femme pleurait. Deux grosses
larmes descendaient lentement des coins
des yeux vers les coins de la bouche; il bégaya : « Qu'as-tu? qu'as-tu? » Mais, par un effort violent, elle avait
dompté sa peine et elle répondit d'une voix calme en essuyant ses joues humides : « Rien. Seulement je n'ai pas de toilette et
par conséquent je ne peux aller à cette fête. Donne ta carte à quelque collègue dont la femme sera
mieux nippée que moi. » Il était
désolé. Il reprit : «Voyons, Mathilde. Combien cela coûterait-il, une toilette
convenable, qui pourrait te servir
encore en d'autres occasions, quelque chose de très simple? » Elle réfléchit quelques secondes,
établissant ses comptes et songeant aussi à la somme qu'elle pouvait demander sans s'attirer un refus
immédiat et une exclamation effarée du commis
économe. Enfin, elle répondit en
hésitant : « Je ne sais pas au juste,
mais il me semble qu'avec quatre cents francs je pourrais arriver. » Il avait un peu pâli, car il réservait juste
cette somme pour acheter un fusil et s'offrir des parties de chasse, l'été suivant, dans la plaine de
Nanterre, avec quelques amis qui allaient tirer des alouettes, par-là, le dimanche.
Il dit cependant : « Soit. Je te donne quatre cents francs. Mais tâche
d'avoir une belle robe. Le jour de la fête approchait, et Mme Loisel
semblait triste, inquiète, anxieuse. Sa toilette était prête cependant. Son mari lui dit un soir : «
Qu'as-tu? Voyons, tu es toute drôle depuis trois jours. » Et elle répondit : «
Cela m'ennuie de n'avoir pas un bijou, pas une pierre, rien à mettre sur
moi. J'aurai l'air misère comme tout.
J'aimerais presque mieux ne pas aller à cette soirée. » Il reprit : « Tu mettras des fleurs
naturelles. C'est très chic en cette saison-ci. Pour dix francs tu auras deux ou trois roses magnifiques. » Elle n'était point convaincue. «Non ... il n'y a rien de plus humiliant que
d'avoir l'air pauvre au milieu de femmes
riches. » Mais son mari s'écria : « Que tu es bête! Va trouver ton amie Mme Forestier et demande-lui de te prêter des
bijoux. Tu es bien assez liée avec elle pour faire cela. » Elle poussa un cri de joie : « C'est vrai.
Je n'y avais point pensé. » Le lendemain, elle se rendit chez son amie et lui
conta sa détresse. Mme Forestier alla vers son armoire à glace, prit
un large coffret, l'apporta, l'ouvrit, et dit à Mme Loisel : « Choisis, ma
chère. »
Elle vit d'abord des bracelets, puis un collier de perles, puis une croix
vénitienne, or et pierreries, d'un
admirable travail. Elle essayait les parures devant la glace, hésitait, ne
pouvait se décider à les quitter, à les
rendre. Elle demandait toujours : « Tu n'as plus rien d'autre? - Mais
si. Cherche. Je ne sais pas ce qui peut te plaire. » Tout à
coup elle découvrit, dans une boîte de satin noir, une superbe rivière de
diamants; et son cœur se mit à battre
d'un désir immodéré. Ses mains tremblaient en la prenant. Elle l'attacha autour
de sa gorge, sur sa robe montante, et demeura en extase devant elle-même. Puis, elle demanda, hésitante, pleine
d'angoisse : « Peux-tu me prêter cela, rien que cela? - Mais oui, certainement. » Elle sauta au cou de son amie, l'embrassa
avec emportement, puis s'enfuit avec son trésor.
Guy de Maupassant, « La parure», 1884 ; Librairie Larousse, 1983,
pp.113-115
Compréhension
- Pourquoi M.
Loisel rentra-t-il l'air glorieux ?
- Mme Loisel « jeta avec dépit l'invitation sur la
table ». Pourquoi ?
- Expliquez
l’expression « tout le monde officiel ».
- Quel genre de
toilette M. Loisel conseilla-t-il ?
- Pourquoi Mme Loisel réfléchit-elle avant de demander quatre
cents francs ?
- Expliquez
l’expression « j'aurai l'air misère comme tout ».
- Quel est le
meilleur conseil que M. Loisel donna à
sa femme ?
- Pourquoi Mme Forestier hésitait-elle devant les parures
?
Production
- Résumez le
texte en quelques lignes.
- Quelles sont
vos impressions à propos des personnages de ce texte?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire