jeudi 6 octobre 2011

Flaubert : Madame Bovary

Autour de 1850, une nouvelle sensibilité autant littéraire que picturale se dessine : il s’agit du réalisme. Tandis que Murger écrit Les Scènes de la vie de Bohème, que Champfleury donne Monsieur de Boisdhyver, Courbet déclenche un véritable scandale avec son tableau Un enterrement à Ornans parce qu’un chien vient entacher le caractère sacré d’une inhumation. Cette évolution avait été préparée par le positivisme scientiste d’un Auguste Comte qui avait permis de réagir contre les excès du sentimentalisme romantique. C’est dans ces conditions que l’histoire personnelle de Flaubert va rejoindre les tendances d’une certaine élite de son temps. Il venait d’écrire La Tentation de Saint Antoine, somptueuse évocation de toutes les hérésies, et avait soumis son ouvrage à l’appréciation de ses amis Du Camp et Bouilhet. Les deux critiques conseillèrent alors à Flaubert de renoncer au lyrisme et de purger son esprit trop imaginatif en se consacrant à une histoire triviale. Sous forme de boutade peut-être, ils lui proposèrent de romancer une aventure sordide qui avait défrayé la chronique de Ry : l’adultère, l’endettement et pour finir, la ruine et le suicide de l’épouse du médecin Delamare. Flaubert allait entreprendre la rédaction de Madame Bovary.


Charles Bovary s'établit à Tostes comme officier de santé, élève médiocre il n'a pas obtenu le doctorat. Il se marie ensuite avec une veuve de 45 ans qu'il exècre.
Apres la mort de sa femme (dont il hérite de la fortune),Charles, lors d'une banale visite, fait la rencontre d'une jeune femme, Emma Rouault, élevée dans un couvent et s'ennuyant à la ferme avec son père. Emma se laisse séduire et se marie avec lui. Marquée au fer rouge par ses lectures romantiques de jeunesse, et nourrissant une vision passionnément lyrique de l'existence, elle se prend à rêver d'une vie en adéquation avec ses aspirations naïves de jeune fille grâce à son mariage.
Mais sa vie en couple dégénère rapidement pour devenir insipide et monotone. Charles, privé d'ambition, ne répond pas à ses attentes d'une vie exaltante. Arrive le bal donné au château de la Vaubyessard, qui marque une étape déterminante dans la vie d'Emma, lui laissant entrevoir les charmes tentateurs d'une vie privilégiée dont elle rêve depuis sa plus prime jeunesse. Cette soirée continuera longtemps de hanter son esprit.
Emma s'ennuie et sombre dans la dépression et Charles, à contrecœur décide de partir à Yonville, alors que Madame Bovary est enceinte. Elle fait la connaissance du pharmacien Homais, archétype du notable de province bouffi d'orgueil et de Léon, un clerc de notaire dont elle éprouve le charme, mais qui part pour Rouen. Si elle se rétablit, Emma n'en reste pas moins écœurée par son mari, qui semble ne pas comprendre ses préoccupations. Elle va se laisser séduire, lors des comices agricoles, par Rodolphe, riche propriétaire terrien mais coureur de jupons impénitent. Il se lassera vite du romantisme hyperbolique de la jeune femme. C'est après être tombée malade, à la suite du brusque départ de Rodolphe, qu'elle revoit Léon à un spectacle. Cette deuxième liaison l'entraînera fréquemment à Rouen et l'obligera à des dépenses excessives. Elle contractera des dettes auprès d'un usurier, Lheureux.
Menacée par une saisie de ses biens et plus seule que jamais, Emma se suicide en absorbant de l’arsenic. Charles découvrira plus tard les lettres échangées avec ses amants. Il finit par mourir de chagrin après lui avoir toutefois pardonné.

Emma Bovary 


Les éléments réalistes
Loin d’être seulement la critique d’une imagination enflammée, Madame Bovary présente les principaux éléments caractéristiques du réalisme.
Tout d’abord  Flaubert n’a pas inventé la trame de son récit, il l’a tirée d’un fait divers. Comme un journaliste, il a enquêté sur place pour mieux comprendre les personnages qu’il allait mettre en scène. Il a amassé des documents pour atteindre à l’exactitude : il a lu des traités de médecine pour connaître les symptômes d’un empoisonnement par l’arsenic avant de décrire l’agonie d’Emma. Il n’a pas hésité à consulter un avocat pour ne pas commettre d’erreurs dans les désordres financiers de son héroïne non plus que dans leur règlement.  Afin d’assurer la cohérence interne de son récit, en ce qui concerne la localisation des événements, il va jusqu’à dessiner un plan d’Yonville.
Au-delà de ce souci de vérité, Flaubert cherche l’objectivité avec cette « impartialité qu’on met dans les sciences physiques ». Il jette un regard quasi médical sur le monde qu’il décrit. Il essaie de peindre ce qui est visible. À défaut de pouvoir rendre toute la réalité, il choisit les détails pittoresques et justes.
 Comme un photographe, Flaubert apprend à connaître ses modèles de l’extérieur vers l’intérieur.
Cette volonté de réalisme, on la retrouve aussi dans la façon de parler. Chaque personnage possède le langage de sa classe sociale, en accord avec sa psychologie.
Ensuite on doit  noter cette tendance continuelle à expliquer les caractères par l’influence du milieu et du tempérament.
Enfin l’œuvre objective doit renoncer à l’hérésie du moralisme. Le roman n’a pas à défendre une thèse, il se doit d’exposer des faits. Au lecteur à tirer les leçons ! Le livre ne doit plus faire de concessions à un prétendu « bon goût ». Flaubert n’hésitera pas à heurter la sensibilité du lecteur par des détails insupportables lors de l’agonie d’Emma. Rien n’ est épargné.
On peut dire que Madame Bovary par bien des côtés est une œuvre anti-romanesque. C’est l’histoire d’une déchéance assez lamentable, c’est aussi un examen clinique de la réalité. Ces deux aspects essentiels fondent son réalisme.

Les éléments romantiques
Le moi de Flaubert
Flaubert a mis beaucoup de lui-même dans son roman. Malgré un certain parti pris d’impartialité, il a pu aussi s’écrier : « Madame Bovary, c’est moi ! ». Ce cri a été interprété de plusieurs manières. Flaubert a coulé dans son œuvre ses propres inquiétudes, ses manières de penser, sa matière personnelle.
Le goût de la rêverie
Au détour d’une page, on le surprend à rêver de la belle manière, ce qu’il appelait son « infini besoin de sensations intenses ». Les lectures d’Emma, fades et niaises, déclenchent parfois en lui le désir de voyager comme l’évocation de « ces sultans à longues pipes.. ». Il lui faut alors l’aide de l’ironie pour secouer l’esprit qui vagabonde et dénoncer l’invraisemblance et le poncif.
Un goût de la période
Chaque fois que Flaubert se laisse aller à la rêverie, la phrase prend l’ampleur et la cadence de la période romantique.  
Les émois de la passion
Parfois Flaubert éprouve une secrète délectation dans les plaisirs destructeurs de la passion romantique qu’il entend condamner.
La révolte
C’est ce même le désir d’évasion qui constitue le plus profondément le romantisme d’Emma, bien proche de son créateur lorsque qu’elle éprouve un grand dégoût pour le monde étriqué qui l’entoure. Lors de son mariage avec Charles ne voit-on pas l’opposition irréductible entre son sentimentalisme qui se traduit par le désir d’une cérémonie nocturne aux flambeaux et le matérialisme de son père qui pense seulement à la nourriture et aux plaisirs. Depuis on appelle bovarysme cette volonté d’être plus et mieux, ce désir forcené d’une autre existence plus exaltante. Il y a  là le goût romantique de la révolte, la haine de l’ordre établi.

Conclusion

Madame Bovary recèle des aspects réalistes et des aspects romantiques comme l’œuvre de Flaubert qui oscille elle-même sans cesse de la grisaille à la couleur, de la terne réalité aux fastes de l’imagination. Mais même lorsque Flaubert entend écrire sur un sujet trivial, il renonce au réalisme pur. Nous avons alors sous les yeux une œuvre originale qui échappe aux règles trop étroites d’une école, d’un mouvement ou tout simplement d’une doctrine. Son roman y gagne en profondeur, en personnalité, en universalité pourrions-nous dire. Flaubert se situe exactement à la charnière de son siècle, héritant du mal du siècle romantique, cette difficulté à vivre dans un monde borné, il annonce le spleen baudelairien et l’incapacité à s’accommoder d’une existence qui brime l’idéal. Épurant le romantisme de ses excès, il fonde une certaine impartialité dans le récit, ouvrant la voie au roman moderne fait de critique et d’échec. Accordant une grande importance au style, il sacralise l’Art et laisse présager les magiciens du verbe qui auront nom les symbolistes. Flaubert particulièrement dans Madame Bovary reste donc un solitaire, un artiste indépendant dont l’œuvre agira à la manière d’un ferment littéraire.

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