Les facs françaises seront bientôt autorisées à proposer des cursus en langue étrangère. Une réforme qui scandalise certains, mais qui avalise... une pratique déjà existante.
Voltaire,
reviens, ils sont devenus fous ! A en croire certaines associations, la
langue française serait en péril dans les facs de notre pays : le
gouvernement s’apprêterait à "autoriser, au pays de Molière, les
établissements d'enseignement supérieur à effectuer tous leurs examens et tous
leurs enseignements entièrement, exclusivement et obligatoirement en langue
étrangère, donc essentiellement en anglo-américain". Dixit l’Union
populaire républicaine, un mouvement souverainiste présidé par François
Asselineau, ancien proche de Charles Pasqua et Philippe de Villiers, qui
affirme avoir réuni plus de 6.000 signatures contre le projet. A l'autre bout
du spectre politique, les communistes taclent eux aussi ''un projet
ultralibéral (...) de destruction de la langue française''.
Beau parler
Qu’est-ce qui
irrite tant ces défenseurs de la francophonie ? La mesure numéro 20 de la loi
Fioraso de réforme de l’enseignement supérieur et de la recherche, débattue en
mai au Parlement. Celle-ci entend "autoriser les enseignements en langue
étrangère lorsqu’ils sont dispensés dans le cadre d’un accord avec une institution
étrangère". Autrement dit, donne le droit aux facs hexagonales de déroger
à loi Toubon de 1994 qui contraint les institutions à utiliser le
français, pour proposer des cursus 100% en anglais, chinois ou espagnol - mais
évidemment, surtout en anglais - afin d’attirer les candidats étrangers.
La ministre de
l’Enseignement supérieur Geneviève Fioraso brade-t-elle réellement le
beau parler de France au nom de la mondialisation ? Cela pourrait se
débattre, si les cursus 100% en anglais… n’existaient pas depuis des lustres
dans les universités de notre pays ! Et sans que personne ne prenne la peine de
nouer un "accord avec une institution étrangère", comme le stipule la
future loi…
"Loi grotesque"
"Le
ministère a toujours fait preuve de pragmatisme et d’intelligence avec
nous", reconnaît Bruno Sire, président de l’université Toulouse-1-Capitole,
qui revendique "plus de 20% d’étudiants étrangers" ne maniant pas
tous la langue de Rabelais. Dans sa fac, les tests de doctorats, les cursus de
gestion, l’économie se font en anglais depuis des années.
Du reste, il
suffit de jeter un œil au site de Campus France, l'agence nationale
chargée d'attitrer les étudiants étrangers en nos contrées : elle
répertorie des centaines des modules en anglais dispensés dans les grandes
écoles, mais aussi dans les facs publiques.
"Cela fait
plusieurs années que notre cursus est en anglais, renchérit Gérard Duchêne,
responsable du master Developpment economics & international
management à Paris-Est-Créteil. Quand une loi est grotesque
comme l’est la loi Toubon, c’est le devoir du citoyen de l’ignorer !"
Résultat : ses deux années de master qui forment des économistes du
développement à des carrières dans les grandes organisations internationales
(FMI, Banque mondiale) et les ONG comptent 19 nationalités : "Des
Français, des Chinois, des Colombiens, des Iraniens, des Indonésiens… Si nous
ne proposions un cursus qu’en français, nous n'aurions clairement que des
candidats d’Afrique francophones. Ce serait une perte pour le rayonnement de la
France, car toutes ces nationalités se souviendront qu’elles ont étudié dans
notre pays, qu’elles l’ont visité, qu’elles ont appris le français, qu’elles
ont des amis français…"
Réalités mondiales
Des cours dans la
langue de Shakespeare pour soutenir le prestige français ? Ce qui semble
un paradoxe au premier abord est martelé au ministère de l’Enseignement
supérieur : "Si nous ne proposons pas des cursus qui puissent attirer
les étudiants des pays émergents, la France disparaîtra complètement de leurs
radars : on les voit déjà nous préférer les pays anglo-saxons ou
l’Allemagne. Il faut envoyer un signal fort en direction de l’étranger".
Un signal fort
"qui servira aussi à attirer les meilleurs enseignants-chercheurs dans nos
universités. Lesquels sont au top de leurs disciplines sans forcément avoir à
parler français lorsqu’ils arrivent chez nous, insiste Bruno Sire, qui
revendique une trentaine d’enseignants étrangers. Le talent se moque des
frontières et s’en est toujours moqué. Il fut un temps où le latin était la
langue des savants, puis ce fut le français et aujourd’hui l’anglais. Demain,
ce sera peut-être le chinois, il faut s’adapter aux réalités
mondiales !"
Et le président
de Toulouse-1-Capitole de donner l’exemple, symptomatique, d’un master de droit
français… dispensé chez lui en anglais : "Faire connaître les subtilités
du droit français à des centaines de juristes étrangers, c’est laisser une
place à la culture, à la civilisation française dans les débats du monde :
exactement ce que revendiquent les autoproclamés défenseurs de la francophonie."
(Le Nouvel
Observateur – le 02 avril 2013 )
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