Pékin marque son intérêt pour les pays émergents
et les pays arabes. La relation avec Washington reste conflictuelle et celle
avec l'Europe déçoit.
Chaque mot,
chaque geste ont leur importance au Parlement chinois, qui tient sa session
annuelle durant deux semaines en mars. Le non-dit est aussi important que le
verbe. Particulièrement cette année alors que la fin du processus de transition
politique s'achève dans les coulisses. Chacun s'interroge sur les intentions de
la nouvelle équipe qui devrait entrer en fonction le samedi 16 mars. C'est dans
ce contexte que les observateurs ont décrypté avec attention samedi matin la
conférence de presse du ministre des Affaires étrangères sortant. Après six
années à ce poste, Yang Jiechi devrait devenir le conseiller diplomatique du
nouveau président Xi Jinping.
Or, son protocole a affiché de nouvelles priorités stratégiques ! Depuis le début des années 1990, les journalistes se voyaient attribuer les questions dans un ordre qui paraissait immuable. La parole était d'abord donnée au représentant d'un média officiel chinois - l'agence Chine nouvelle, Le Quotidien du peuple ou CCTV la télévision nationale -, puis à un américain, s'exprimaient de nouveau un média officiel chinois, puis un européen, un média officiel chinois, puis un japonais, un média officiel chinois, puis un russe... Les correspondants de plusieurs pays européens pouvaient poser une question. Enfin, loin derrière, venaient les représentants du "monde en développement" : les pays arabes, l'Afrique, l'Amérique latine et le reste de l'Asie-Pacifique. Cette orchestration, longuement étudiée pour respecter les rapports de force, traduisait assez bien la vision du monde des dirigeants chinois.
L'émergence de nouveaux paysOr, son protocole a affiché de nouvelles priorités stratégiques ! Depuis le début des années 1990, les journalistes se voyaient attribuer les questions dans un ordre qui paraissait immuable. La parole était d'abord donnée au représentant d'un média officiel chinois - l'agence Chine nouvelle, Le Quotidien du peuple ou CCTV la télévision nationale -, puis à un américain, s'exprimaient de nouveau un média officiel chinois, puis un européen, un média officiel chinois, puis un japonais, un média officiel chinois, puis un russe... Les correspondants de plusieurs pays européens pouvaient poser une question. Enfin, loin derrière, venaient les représentants du "monde en développement" : les pays arabes, l'Afrique, l'Amérique latine et le reste de l'Asie-Pacifique. Cette orchestration, longuement étudiée pour respecter les rapports de force, traduisait assez bien la vision du monde des dirigeants chinois.
Samedi matin, la
conférence a paru commencer dans cette tradition avec une première question -
préparée et soumise à l'avance - accordée à CCTV. Mais dès sa première réponse,
le ministre a planté le décor : "Du point de vue des dirigeants chinois, ces
cinq dernières années ont vu les plus importants changements dans le paysage
international depuis la fin de la guerre froide. [...] Dans les cinq à dix
prochaines années, des changements internationaux très importants vont encore
se produire. Ils nécessiteront une lecture correcte et une vision
stratégique..."
Aussitôt après, un journaliste russe a été choisi pour poser sa question. Le ministre en a profité pour annoncer que les premiers voyages du nouveau président seraient réservés à deux pays émergents, la Russie, puis l'Afrique du Sud, qui accueillera en avril le prochain sommet des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Bien que très éloignés géographiquement, culturellement et économiquement, ces cinq pays représentent près de la moitié de la population et de la croissance mondiale. Yang Jiechi a souligné le désir de Pékin de développer des partenariats avec eux, tout en encourageant le processus d'intégration de ce groupe des émergents encore relativement informel et peu solidaire. Comme la Chine, les quatre autres pays Brics ont "émergé" à l'occasion de la crise mondiale qui leur a fourni des occasions de développement, alors qu'au même moment la récession tirait vers le bas les économies occidentales qui dirigeaient la planète depuis près de cinq siècles. "Le système multilatéral du XXIe siècle devrait être plus représentatif et équitable en traduisant ces évolutions", a insisté Yang Jiechi.
Une relation problématique avec WashingtonAussitôt après, un journaliste russe a été choisi pour poser sa question. Le ministre en a profité pour annoncer que les premiers voyages du nouveau président seraient réservés à deux pays émergents, la Russie, puis l'Afrique du Sud, qui accueillera en avril le prochain sommet des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Bien que très éloignés géographiquement, culturellement et économiquement, ces cinq pays représentent près de la moitié de la population et de la croissance mondiale. Yang Jiechi a souligné le désir de Pékin de développer des partenariats avec eux, tout en encourageant le processus d'intégration de ce groupe des émergents encore relativement informel et peu solidaire. Comme la Chine, les quatre autres pays Brics ont "émergé" à l'occasion de la crise mondiale qui leur a fourni des occasions de développement, alors qu'au même moment la récession tirait vers le bas les économies occidentales qui dirigeaient la planète depuis près de cinq siècles. "Le système multilatéral du XXIe siècle devrait être plus représentatif et équitable en traduisant ces évolutions", a insisté Yang Jiechi.
Donnant enfin la parole à un Américain, le ministre a insisté sur son espoir de voir s'établir un nouveau type de relations entre Pékin et Washington. Ces dernières années ont été marquées par une rivalité croissante sur le plan économique, un grand retour des États-Unis dans la région Asie-Pacifique et une suspicion mutuelle sur fond de guerre cybernétique et de modernisation militaire dans le domaine spatial et naval.
"Voilà quarante ans, l'ancienne génération de leaders avait ouvert la voie dans un contexte de relations bien plus difficiles", a rappelé Yang Jiechi, faisant allusion au voyage de Henry Kissinger, alors secrétaire d'État aux Affaires étrangères, dans une Chine plongée dans la Révolution culturelle et la propagande "anti-impérialiste". La rencontre de Kissinger avec le Premier ministre Zhou Enlai, au cœur de la guerre froide et de la guerre du Vietnam, permit la visite, l'année suivante, du président Nixon, sa rencontre avec le président Mao et, progressivement, l'établissement de relations diplomatiques. "Les États-Unis sont les bienvenus dans le Pacifique, zone de grands intérêts croisés, mais ils doivent respecter les intérêts et les préoccupations de la Chine. [...] Nous devons coopérer pour la stabilité et la paix dans cette région", a déclaré Yang, traduisant à quel point la relation avec Washington est devenue problématique pour Pékin. Pour autant, elle reste essentielle.
Rejetant la responsabilité de la crise des îles Diaoyu sur le Japon et condamnant l'essai nucléaire nord-coréen du 12 février, tout en appelant au calme, au dialogue et à la négociation avec le régime de Pyongyang, le ministre a insisté sur l'importance que la Chine donnait désormais à l'Asie, avec qui elle entretient plus de la moitié de ses échanges commerciaux. "Je ne pensais pas que l'Asie pourrait un jour dépasser l'Europe et les États-Unis [dans la balance commerciale de la Chine, NDLR] [...] Chaque pays doit voir où sont ses intérêts", a fait savoir Yang en soulignant l'importance de la vaste zone de libre-échange que la Chine a créée en 2010 avec ses voisins de l'Asean et Taïwan. "Les Asiatiques sont intelligents et pas moins doués que les habitants d'autres régions", a étrangement ajouté le ministre, se voulant sans doute aimable pour ses voisins, mais traduisant malgré lui le sentiment de supériorité souvent reproché aux Chinois dans cette région qui fut leur fief pendant des siècles.
La Chine se tourne vers d'autres horizons
Insistant ensuite sur l'importance du continent africain avec lequel la Chine a le plus développé ses relations au cours de la crise, Pékin s'est montré ouvert à l'idée d'une coopération internationale en faveur de la paix et du développement dans le continent africain et en Amérique du Sud. "Si tu veux aller vite, va seul, si tu veux aller loin, va avec les autres !" a lâché Yang, citant un proverbe africain. Le chef de la diplomatie chinoise a également appelé les pays arabes au dialogue, à la paix et à la stabilité, spécifiant que Pékin respecterait les choix politiques de ces pays, notamment en Syrie.Ce n'est vraiment qu'à la fin de cette conférence de deux heures que Yang Jiechi a considéré la relation avec l'Europe, au lendemain de la crise dans la zone euro (répondant à une question du Point.fr). Rappelant qu'elle était l'une des plus importantes pour la Chine, affirmant sa confiance dans l'avenir et son souhait que les Européens transforment la crise en opportunité, il s'est opposé au protectionnisme ou aux mesures anti-dumping. Une manière polie d'exprimer la mauvaise image qu'a aujourd'hui la Chine de l'Europe, qu'elle voit empêtrée dans ses plans d'austérité, sa spirale de récession et de chômage et où elle a le plus grand mal à investir, l'opinion publique ne lui étant pas favorable. Pourtant, la Chine a cru longtemps en l'Europe, souhaitant la voir se structurer politiquement pour jouer un rôle de balancier dans la relation plus conflictuelle avec les États-Unis.
Déçue par ce partenaire qui reste à ses yeux trop lent à se réformer et par lequel elle se sent rejetée, la Chine a commencé à tourner ses yeux vers d'autres horizons. Déjà, Pékin amorce son repli vers l'énorme zone de libre-échange qu'il est en train de créer en Asie-Pacifique, ambitionnant de l'élargir aux Brics et aux partenaires africains et sud-américains qui seront attirés par sa nouvelle influence. Pour ne pas se retrouver rapidement au ban de la nouvelle mondialisation post-récession, l'Europe ferait bien d'en prendre vite conscience et à son tour de se réveiller...
Insistant ensuite sur l'importance du continent africain avec lequel la Chine a le plus développé ses relations au cours de la crise, Pékin s'est montré ouvert à l'idée d'une coopération internationale en faveur de la paix et du développement dans le continent africain et en Amérique du Sud. "Si tu veux aller vite, va seul, si tu veux aller loin, va avec les autres !" a lâché Yang, citant un proverbe africain. Le chef de la diplomatie chinoise a également appelé les pays arabes au dialogue, à la paix et à la stabilité, spécifiant que Pékin respecterait les choix politiques de ces pays, notamment en Syrie.Ce n'est vraiment qu'à la fin de cette conférence de deux heures que Yang Jiechi a considéré la relation avec l'Europe, au lendemain de la crise dans la zone euro (répondant à une question du Point.fr). Rappelant qu'elle était l'une des plus importantes pour la Chine, affirmant sa confiance dans l'avenir et son souhait que les Européens transforment la crise en opportunité, il s'est opposé au protectionnisme ou aux mesures anti-dumping. Une manière polie d'exprimer la mauvaise image qu'a aujourd'hui la Chine de l'Europe, qu'elle voit empêtrée dans ses plans d'austérité, sa spirale de récession et de chômage et où elle a le plus grand mal à investir, l'opinion publique ne lui étant pas favorable. Pourtant, la Chine a cru longtemps en l'Europe, souhaitant la voir se structurer politiquement pour jouer un rôle de balancier dans la relation plus conflictuelle avec les États-Unis.
Déçue par ce partenaire qui reste à ses yeux trop lent à se réformer et par lequel elle se sent rejetée, la Chine a commencé à tourner ses yeux vers d'autres horizons. Déjà, Pékin amorce son repli vers l'énorme zone de libre-échange qu'il est en train de créer en Asie-Pacifique, ambitionnant de l'élargir aux Brics et aux partenaires africains et sud-américains qui seront attirés par sa nouvelle influence. Pour ne pas se retrouver rapidement au ban de la nouvelle mondialisation post-récession, l'Europe ferait bien d'en prendre vite conscience et à son tour de se réveiller...
Le Point.fr -
Publié le 10/03/2013
Résumez en quelques lignes
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