Un mois après son inauguration, le nouveau musée a déjà
accueilli 140.000 personnes. Reportage.
Lens, Lens. Trois
minutes d'arrêt, dit le contrôleur de la SNCF, calme et droit sous sa casquette
de travers. Il y aurait à la base cette idée de politique de décentralisation à
l'instar de la Tate Liverpool ou du Guggenheim
de Bilbao. Après le Centre Pompidou à Metz, Le
Louvre à Lens. Alors, c'est parti et le temps se fond
dans l'espace: dès la sortie de la gare, les maisons de briques rouges vous
accueillent et vous plongent, rudes, dans l'ambiance du Pas-de-Calais, des
corons, au beau passé minier. Elles ne sont pas laides, ces constructions, mais
elles sont, style Art déco, avouons-le, quelque peu déprimantes. Joyeuses
fêtes. Sur la gauche, donc, à la sortie de la gare, une gentille navette
gratuite attend le visiteur: Lens n'est pas peu fière de son Louvre «hors les
murs». C'est que Lens compte sur son nouveau musée pour se redonner le moral,
se refaire la cerise. «C'est notre Annapurna!», dit le chauffeur de bus. Une si
bonne idée…
L'arrivée au musée,
construction imaginée par l'agence
d'architecture japonaise Sanaa, est
impressionnante. Elle sent encore le chalumeau, elle sent la beauté verrière, quelle remarquable muséographie! Nous y sommes donc mais en ce dimanche, à deux jours de
Noël, malheureusement, bien peu de monde. Cette femme, par exemple, qui passe
le portique de sécurité: «Vous avez un parapluie?», lui demande un agent. «Non,
j'ai une baguette de pain». On lui rétorque: «Vous savez qu'il est interdit de
casser la croûte dans les galeries? “Ah oui, à cause des miettes!»,
répond-elle. La femme, privée de son quignon, y va plutôt gaiement et se dirige
direct vers La liberté guidant le peuple de Delacroix, le
clou du spectacle, en sang et en or.
«Ah, ça n'a pas vieilli!»
Avant d'y accéder,
tout une avenue qui nous guide dans le temps. Commence ainsi la visite,
grandiose. Des enfants, ici et là, qui jouent, bien sûr, et qui s'endorment,
malheureux d'ennui, sur des bancs en cuir. Il y en a un, 5 ans à tout casser,
qui tout charmant, bonnet de père Noël sur la tête, caresse les pieds froids de
D'Alembert sculpté par Félix Lecomte. Une femme handicapée s'interroge sur le portrait de Diderot signé Fragonard. Une guide lui apprend qu'il ne s'agit pas, en fait, de
l'écrivain. Le tableau a été rebaptisé: Figure de fantaisie.
Et ce groupe
d'adolescentes devant la sculpture d'un Jupiter châtré: il a une lance brisée
par le temps dans la main. Une des jeunes filles à sa copine: «Regarde, il n'a
pas de b…?» L'autre: «Si, il a son dard, si tu regardes bien, dans sa main
gauche!» Un peu plus loin, un père dit à sa fille que Rubens avait plus le sens
des couleurs que Raphaël. Tout fiérot, un homme confie à sa femme, en admirant le
saint Sébastien assez érotique de Pietro di Cristoforo Vannucci dit Le
Perugin: «Ah, ça n'a pas vieilli! Ça, c'est de la peinture à l'huile ou je ne
m'y connais pas! Les couleurs sont assez gaies, tu ne trouves pas, chérie?» Un
peu plus tard, deux petits vieux en cardigan et pantalon velours côtelé, casque
de l'audioguide sur les oreilles, parlent si fort qu'on entend qu'eux. Ils
s'entretiennent de dinde et de marrons tout en contemplant la Sainte Annede
Léonard de Vinci.
Ainsi va la vie d'un
musée. Il y a beaucoup de Hollandais. Il y a beaucoup d'Italiens et
d'Espagnols. Quelques Allemands. Des Belges, bien sûr. Eh oui! il y a aussi des
Belges qui viennent en France. Comme quoi, tout n'est pas perdu.
Le figaro du 08-01-2013 par A. Palou
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