vendredi 11 novembre 2011

Illettrisme: le mal moderne


Ils ont entre 18 et 25 ans. Ils ont passé des années assis devant des professeurs qui se battaient pour leur faire lire quelques lignes, leur apprendre les accords des participes passés et la concordance des temps. Certains sont encore scolarisés, souvent en lycée professionnel. D’autre travaillent dans des PME, ou vivotent entre aides et petits boulots. Mais là, encadrés par des militaires qui leur ont exposé les droits et les devoirs du citoyen, ils peinent sur un texte simple et les quelques questions qui l’accompagnent. Ces jeunes gens, en majorité des garçons, appartiennent aux 4,9 % d’authentiques illettrés qu’a dépistés la Journée d’appel de préparation à la défense en 2008. Depuis la fin du service militaire, en 1997, cette Journée constitue l’unique moment où sont regroupés tous les jeunes d’une même classe d’âge, de sorte qu’elle a développé une batterie de tests servant à l’Education Nationale pour repérer les jeunes souffrant de carences d’apprentissage. Depuis 2004, ce repérage est systématique et concerne chaque année l’ensemble des jeunes gens d’une classe d’âge, soit environ 800 000. Et ce que nous dit la JAPD de la jeunesse française n’est pas brillant.
Ils sont donc 4,9 %, considérés comme illettrés ; ce qui signifie qu’au bout de la scolarité obligatoire (et parfois plus), ces jeunes sont incapables de déchiffrer un texte simple (par opposition aux analphabètes, qui n’ont jamais appris à lire). A cela, il faut ajouter les 6,9 % qui ont « de très faibles capacités de lecture » et les 9,8 % de lecteurs médiocres. Mais si l’on affine encore, ils ne sont que 65,5 % à ne connaître aucune difficulté de lecture. Et la France ne cesse de régresser par rapport aux autres pays de l’OCDE dans les tests déterminant les capacités de lecture des jeunes. Voilà qui mériterait, pense-t-on, d’ériger l’illettrisme en grande cause nationale, au même titre que le cancer.
Mais qui s’intéresse à l’illettrisme se heurte à la plus constante dénégation. Tout est fait pour construire la fiction d’une marche lente mais victorieuse vers son éradication. Ainsi de ces articles consacrés aux études réalisées en 2005 par l’INSEE sur les 18-65 ans. La presse soulignait alors que « les chiffres vont à l’encontre des idées reçues » puisque les plus de 45 ans sont les plus touchés avec 14 % de véritables illettrés. Un démenti, affirmait-on, aux irréductibles nostalgiques qui osent s’imaginer que l’école fonctionnait mieux avant. « Mais les jeunes qui sont en difficulté à 17-18 ans, nuance Marie-Thérèse Geoffroy, directrice de l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme, le seront de plus en plus, car les difficultés de lecture empirent avec l’âge. » Et voilà bien le biais de ces statistiques, qui fausse totalement la stricte comparaison générationnelle. La lecture n’est pas le vélo : il ne suffit pas de l’avoir apprise une fois. Bien au contraire, elle doit s’entretenir. Les 35 % de lecteurs mauvais ou seulement médiocres entre 18 et 25 ans verront leur problème s’amplifier d’autant plus que leurs difficultés les inciteront à ne pas pratiquer cette lecture qui leur demande trop d’efforts. « Le jeune qui, à 17 ans, peine à lire, ajoute Marie-Thérèse Geoffroy, adoptera des stratégies de contournement pour masquer son handicap dans la vie courante. Non seulement il perdra le peu d’habitude qu’il avait, mais il passera à travers les mailles du filet des dispositifs de remise à niveau et autres « école de la deuxième chance ». » Quant aux autres, ceux qui, sans être en grande difficulté, ne maîtrisent pas assez la lecture pour se promener dans un texte pourtant simple et en tirer immédiatement la « substantifique moelle », ils sont à jamais exclus de la lecture comme plaisir, et fourniront la cohorte des adultes qui n’ouvrent pas un livre.( …)
(Article paru dans le Figaro du 24 février 2010)



Selon vous, comment un pays développé et riche peut-il en arriver à cette situation d’illettrisme très répandu ? À qui en incombe la responsabilité ? Quelles initiatives, publiques ou privées, pourraient permettre de remédier à cette situation ?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire