mercredi 23 novembre 2011

Ecrire une lettre

ECRIVEZ UNE LETTRE 



Les documents qui suivent pourraient  vous aider à réfléchir.Au cas où  vous n’en auriez pas besoin, bonne lecture  quand même !


Rabelais (en 1534) fait  la description d’une éducation idéale, qui intègre le corps et l’esprit, et que l’on peut opposer à l’éducation absurde imposée par le « grand docteur en théologie nommé Maistre Thubal Holoferne »  consistant essentiellement à savoir réciter l’alphabet dans les deux sens et à écrire en belles lettres gothiques.
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Gargantua se réveillait donc vers quatre heures du matin. Pendant qu’on l’astiquait, on lui lisait une page de la divine Ecriture, à haute et intelligible voix et avec une diction claire ; mission confiée à un jeune page natif de Basché, nommé Anagnotes. En fonction du thème et du sujet de ce passage, il se consacrait à vénérer, adorer, prier et supplier le bon Dieu, dont la lecture montrait la majesté et le jugement merveilleux. Puis il se retirait aux lieux d’aisances pour se purger de ses excréments naturels. Là son précepteur répétait ce qui avait été lu en lui en expliquant les points les plus obscurs et difficiles. En revenant, ils considéraient l’état du ciel : s’il se présentait comme ils l’avaient noté le soir précédent, dans quelle partie du zodiaque entraient le soleil et la lune pour la journée. Cela fait, il était habillé, peigné, coiffé, adorné et parfumé ; pendant ce temps on lui répétait les leçons de la veille.
Lui-même les récitait par cœur et en tirait quelques conclusions pratiques sur la condition humaine ; ils y passaient parfois jusqu’à deux ou trois heures, mais d’habitude ils s’arrêtaient lorsqu’ils avaient fini de s’habiller. Puis pendant trois bonnes heures on lui faisait la lecture.
Cela fait, ils sortaient, en conversant toujours du sujet de la leçon, et allaient se récréer au Jeu de Paume du Grand Braque ou dans une prairie ; ils jouaient à la balle ou à la paume, s’exerçant le corps aussi lestement qu’ils l’avaient fait auparavant de leur esprit.
Ils jouaient librement, abandonnant la partie quand ils voulaient et s’arrêtant ordinairement quand ils étaient bien en sueur ou fatigués. Alors, bien essuyés et frottés, ils changeaient de chemise et, se promenant tranquillement, ils allaient voir si le déjeuner était prêt.
En attendant, ils récitaient clairement, en y mettant le ton, quelques sentences retenues de la leçon. Cependant, Monsieur l’Appétit venait, et ils s’asseyaient à table au moment opportun. Au début du repas, on lisait quelque histoire plaisante tirée des anciennes légendes, jusqu’à ce qu’il eût bu son vin. Alors, selon l’envie, on continuait la leçon ou bien ils commençaient à converser joyeusement ensemble ; les premiers temps, ils parlaient des vertus, des propriétés efficaces et de la nature de tout ce qu’on leur servait à table : le pain, le vin, l’eau, le sel, les viandes, les poissons, les fruits, les herbes, les légumes, et la façon dont ils étaient apprêtés.
De cette façon, il apprit en peu de temps tous les passages se rapportant à ces sujets chez Pline, Athénée, Dioscoride, Galien, Porphyre, Opien, Polybe, Héliodore, Aristote, Elien, et d’autres. En parlant, ils faisaient souvent, pour plus de sûreté, apporter à table les livres en question. Et il retint si bien en mémoire ce qu’on y disait qu’il n’y avait pas alors de médecin qui en sût moitié autant que lui.

Dans ce chapitre des Essais (1595)  Montaigne  décrit son projet pédagogique, reprenant les pistes de ses prédécesseurs (Erasme, Vivès, Rabelais) qui ont réfléchi à la question de l’Education. Il rappelle l’importance d’exercer le jugement de l’enfant et de différencier les méthodes d’apprentissage en fonction de la diversité des enfants.

« A un enfant de maison, qui recherche des lettres (…) pour s’en enrichir en et parer en dedans, ayant plutôt envie d’en réussir habile homme, qu’homme savant, je voudrais aussi qu’on fût soigneux de lui choisir un conducteur, qui eût plutôt la tête bien faite, que bien pleine : et qu’on y requît tous les deux, mais plus les mœurs et l’entendement que la science : et qu’il se conduisît en sa charge d’une nouvelle manière.
On ne cesse de criailler à nos oreilles, comme qui verserait dans un entonnoir ; et notre charge ce n’est que redire ce qu’on nous a dit. Je voudrais qu’il corrigeât cette partie ; et que de belle arrivée, selon la portée de l’âme qu’il a en main, il commença à la mettre à la montre, lui faisant goûter les choses, les choisir, et discerner d’elle-même. Quelquefois lui ouvrant le chemin, quelquefois le lui laissant ouvrir. Je ne veux pas qu’il invente et parle seul : je veux qu’il écoute son disciple parler à son tour. (…) Il est bon qu’il le fasse trotter devant lui, pour juger de son train : et juger jusques à quel point il se doit ravaler, pour s’accommoder à sa force.
A faute de cette proportion, nous gâtons tout. Et de la savoir choisir, et s’y conduire bien mesurèrent, c’est des plus ardues besognes que je sache : Et est l’effet d’une haute âme et bien forte, savoir condescendre à ses allures puériles, et les guider. Je marche plus ferme et plus sûr, à mont qu’à val. Ceux qui, comme notre usage porte, entreprennent d’une même leçon et pareille mesure de conduite, régenter plusieurs esprits de si diverses mesures et formes : ce n’est pas merveille si en tout un peuple d’enfants ils en rencontrent à peine deux ou trois qui rapportent quelque juste fruit de leur discipline. Qu’il ne lui demande pas seulement compte des mots de sa leçon, mais du sens et de la substance.
Et qu’il juge du profit qu’il aura fait, non par le témoignage de sa mémoire, mais de sa vie.

VOLTAIRE, Candide (1759)
Ce conte philosophique de Voltaire met en scène un jeune homme d’une grande naïveté, Candide, qui, chassé du château où il coulait des jours heureux, subit une série d’aventures malheureuses qui lui font découvrir l’état du monde et la cruauté des hommes. Ces expériences vont mettre à mal sa foi en la science philosophique de son maître, Pangloss, selon laquelle tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.

Pangloss enseignait la métaphysicothéologocosmolonigologie. Il prouvait admirablement qu’il n’y a point d’effet sans cause, et que, dans ce meilleur des mondes possibles, le château de monseigneur le baron était le plus beau des châteaux et madame la meilleure des baronnes possibles.
« Il est démontré, disait-il, que les choses ne peuvent être autrement : car, tout étant fait pour une fin, tout est nécessairement pour la meilleure fin. Remarquez bien que les nez ont été faits pour porter des lunettes, aussi avons-nous des lunettes. Les jambes sont visiblement instituées pour être chaussées, et nous avons des chausses1. Les pierres ont été formées pour être taillées, et pour en faire des châteaux, aussi monseigneur a un très beau château ; le plus grand baron de la province doit être le mieux logé ; et, les cochons étant faits pour être mangés, nous mangeons du porc toute l’année : par conséquent, ceux qui ont avancé que tout est bien ont dit une sottise ; il fallait dire que tout est au mieux.»
Candide écoutait attentivement, et croyait innocemment ; car il trouvait Mlle Cunégonde extrêmement belle,
quoiqu’il ne prît jamais la hardiesse de le lui dire. Il concluait qu’après le bonheur d’être né baron de Thundertentronck, le second degré de bonheur était d’être Mlle Cunégonde ; le troisième, de la voir tous les jours ; et le quatrième, d’entendre maître Pangloss, le plus grand philosophe de la province, et par conséquent de toute la terre.
Un jour, Cunégonde, en se promenant auprès du château, dans le petit bois qu’on appelait parc, vit entre des broussailles le docteur Pangloss qui donnait une leçon de physique expérimentale à la femme de chambre de sa mère, petite brune très jolie et très docile. Comme Mlle Cunégonde avait beaucoup de disposition pour les sciences, elle observa, sans souffler, les expériences réitérées dont elle fut témoin ; elle vit clairement la raison suffisante du docteur, les effets et les causes, et s’en retourna toute agitée, toute pensive, toute remplie du désir d’être savante, songeant qu’elle pourrait bien être la raison suffisante du jeune Candide, qui pouvait aussi être la sienne.

STENDHAL, Le Rouge et le Noir (I, chapitre 6) (1830)
Julien Sorel, jeune homme d’origine modeste mais aux grandes qualités intellectuelles, vient d’être engagé par le maire de Verrières, M. de Rénal, pour être le précepteur de ses enfants. Il est présenté à eux pour la première fois et se livre à une démonstration d’érudition qui suscite leur admiration.

Enfin Julien parut. C’était un autre homme. C’eût été mal parler que de dire qu’il était grave ; c’était la gravité incarnée. Il fut présenté aux enfants, et leur parla d’un air qui étonna M. de Rénal lui-même.
- Je suis ici, messieurs, leur dit-il en finissant son allocution, pour vous apprendre le latin. Vous savez ce que c’est que de réciter une leçon. Voici la sainte Bible, dit-il en leur montrant un petit volume in- 32, relié en noir. C’est particulièrement l’histoire de Notre-Seigneur Jésus Christ, c’est la partie qu’on appelle le Nouveau Testament. Je vous ferai souvent réciter des leçons, faites-moi réciter la mienne.
Adolphe, l’aîné des enfants, avait pris le livre. – Ouvrez-le au hasard, continua Julien, et dites-moi les trois premiers mots d’un alinéa. Je réciterai par cœur le livre sacré, règle de notre conduite à tous, jusqu’à ce que vous m’arrêtiez.
Adolphe ouvrit le livre, lut deux mots, et Julien récita toute la page, avec la même facilité que s’il eût parlé français. M. de Rénal regardait sa femme d’un air de triomphe. Les enfants voyant l’étonnement de leurs parents, ouvraient de grands yeux. Un domestique vint à la porte du salon, Julien continua de parler latin. Le domestique resta d’abord immobile, et disparut ensuite. Bientôt la femme de chambre de madame, et la cuisinière, arrivèrent près de la porte ; alors Adolphe avait déjà ouvert le livre en huit endroits, et Julien récitait toujours avec la même facilité.

Daniel PENNAC - Comme un roman (1992), p. 99
Dans l’ouvrage qu’il consacre à la lecture, Daniel Pennac cite longuement le portrait qu’une ancienne étudiante fit de son professeur de littérature, l’écrivain Georges Perros, véritable passeur de passion pour le livre :

Il [Perros] arrivait le mardi matin, ébouriffé de vent et de froid sur sa moto bleue et rouillée. Voûté, dans un caban marine, la pipe à la bouche ou dans la main. Il vidait une sacoche de livres sur la table. Et c’était la vie. (…) Oui, c’était la vie : une demi tonne de bouquins, des pipes, du tabac, un numéro de France-Soir ou de L’Equipe, des clefs, des carnets, des factures, une bougie de moto… De ce fatras, il tirait un livre, il nous regardait, il partait d’un rire qui nous mettait en appétit, et il se mettait à lire. Il marchait en lisant, une main dans la poche, l’autre, celle qui tenait le livre, un peu tendue, comme si, le lisant, il nous l’offrait. Toutes ses lectures étaient des cadeaux. Il ne nous demandait rien en échange. Quand l’attention de l’un ou l’une d’entre nous fléchissait, il s’arrêtait de lire une seconde, regardait le rêveur et sifflotait. Ce n’était pas une remontrance, c’est un rappel joyeux à la conscience.
Il ne nous perdait jamais de vue. Même au plus profond de sa lecture, il nous regardait par-dessus les lignes. Il avait une voix sonore et lumineuse, un peu feutrée, qui remplissait parfaitement le volume des classes, comme elle aurait comblé un amphi, un théâtre, le champ de Mars, sans que jamais un mot soit prononcé au-dessus d’un autre. Il prenait d’instinct les mesures de l’espace et de nos cervelles.
Il était la caisse de résonance naturelle de tous les livres, l’incarnation du texte, le livre fait homme. Par sa voix nous découvrions soudain que tout cela avait été écrit pour nous.


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