Le "7e continent de plastique". On le
décrit comme une immense plaque de déchets évoluant dans le nord de l'océan
Pacifique, de la taille d'un tiers des Etats-Unis ou de six fois la France.
Aussitôt se forme à l'esprit l'image d'un gigantesque amas compact de sacs
plastiques, bouteilles, filets et autres bidons...
En réalité, ce phénomène, qui effraye et fascine à la
fois, ressemble plus à une "soupe
de plastique" constituée
de quelques macro déchets éparses, mais surtout d'une myriade de petits
fragments. "L'image d'un continent sert à
sensibiliser le grand public, mais ne rend pas compte de la réalité,
explique François Galgani, océanographe et chercheur spécialiste des déchets à
l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer). Il s'agit plutôt d'une multitude de
micro-plastiques, d'un diamètre inférieur à 5 mm, en suspension à la surface ou
jusqu'à 30 mètres de profondeur, difficiles à voir de loin. Mais quand on puise
dans l'eau, on en remonte une quantité impressionnante.
Cette pollution, invisible depuis
l'espace, se retrouve dans cinq grand bassins océaniques, au sein du Pacifique
Nord, mais aussi du Pacifique Sud, de l'Atlantique Nord et Sud et de l'océan
Indien. Ces zones sont en effet caractérisées par la rencontre de courants
marins qui, influencés par la rotation de la Terre, s'enroulent dans le sens
des aiguilles d'une montre dans l'hémisphère nord, et en sens inverse dans
l'hémisphère sud, selon le principe de la force de Coriolis,
et forment d'immenses vortex appelés gyres
océaniques. La force centripète
aspire alors lentement, en plusieurs années, tous les détritus qui flottent sur
l'eau vers le centre de la spirale, où ils s'amalgament et d'où ils ne sortent
jamais.
"LA GRANDE POUBELLE DU PACIFIQUE"
"LA GRANDE POUBELLE DU PACIFIQUE"
La première plaque de déchets, et la plus importante, a
été découverte par hasard par le navigateur Charles Moore en 1997. Au retour
d'une course à la voile entre Los Angeles et Honolulu, l'explorateur avait
décidé de prendre une route habituellement évitée par les marins, au centre de
la gyre du Pacifique Nord, où les pressions sont hautes et les vents faibles. "Jour après jour, je ne voyais
pas de dauphins, pas de baleines, pas de poissons, je ne voyais que du
plastique", se souvient-il.
Débute alors sa lutte contre le plastique. Charles Moore
met à contribution les scientifiques de son ONG, l'Algalita Marine Research
Foundation, pour mettre au point une méthode de quantification des déchets en
filtrant l'eau des océans. Sept expéditions sont menées dans cette zone de 3,4
millions de km2, que l'on surnomme
rapidement le "Great Pacific Garbage Patch" (la "grande poubelle
du Pacifique"). L'équipe y dénombre 334 271 fragments de plastique par km2 en
moyenne, avec des pics à 969 777 fragments par km2.
La masse de plastique y est six fois plus élevée que celle du plancton, pour un
poids estimé de plusieurs dizaines de milliers de tonnes à plusieurs millions,
selon différentes études, dont les modes de calcul et résultats divergent.
Afin de mieux connaître cette zone encore largement
inexplorée, car trop vaste, une
nouvelle expédition scientifique, française cette fois, est en préparation. Le
skipper guyanais Patrick Deixonne, membre de la Société des explorateurs
français et fondateur de l'entreprise d'expéditions Ocean Scientific Logistic,
doit ainsi partir de San Diego d'ici à la fin mai pour un périple d'un mois et
2 500 milles entre la Californie et Hawaï. "Notre
but est d'alerter sur la pollution sournoise en cours dans cette zone, qui
s'avère très peu médiatisée en Europe", explique
l'explorateur. Le bateau, une goélette des années 1930, sera guidé par des
satellites pour se rendre là où la concentration de déchets est la plus forte
afin d'en mesurer la densité, avec des prélèvements d'eau, de plancton et de
fragments, puis de cartographier les zones polluées.
PLAQUES DE L'ATLANTIQUE ET DE LA MÉDITERRANÉE
Des recherches sont également menées dans les autres
océans. En 2010, une nouvelle plaque de déchets, celle de l'Atlantique nord
(The North Atlantic Garbage Patch), est découverte au large des Etats-Unis par une équipe
de chercheurs de la Sea Education
Association, une organisation privée de recherche, de la Woods Hole Oceanographic Institution,
plus grand institut mondial privé d'études océanographiques à but non lucratif,
et de l'université de Hawaï, dont les conclusions sont publiées dans la revue
américaine Science. Résultat :
dans cette zone, d'une taille comparable à celle de sa voisine du Pacifique,
les eaux renferment jusqu'à 200 000 débris par km2. "Le
poids total des déchets ne dépasse toutefois pas les 1 100 tonnes de
plastique", note François Galgani.
Le chercheur est à
l'origine d'une autre expédition,
en Méditerranée cette fois. Si aucun gyre permanent n'y existe, des tourbillons
ponctuels et les importants rejets des Etats côtiers entraînent aussi une
accumulation de détritus. En 2010, l'expédition MED (Méditerranée en danger) évalue à une
moyenne de 115 000 particules par km2 les déchets qui contaminent la mer. "Là encore, le poids total de ces
plastiques est moins impressionnant : 600 tonnes, à raison d'une moyenne de 1,8
mg par déchet. Mais le risque, c'est de voir ces quantités augmenter
considérablement avec le temps, la Méditerranée étant quasi-fermée",
explique François Galgani.
AGGRAVATION DU PROBLÈME
Les déchets qui peuplent les océans proviennent en effet
à 80 % des terres, portés par le vent ou les rivières – le reste tombant des
navires de commerce. Jusqu'alors, les débris flottants étaient détruits par les
micro-organismes, mais cela n'est plus le cas avec l'arrivée des plastiques,
essentiellement du polyéthylène, du polypropylène et du PET, qui constituent 90
% des déchets maritimes. Or, ces quantités ne cessent d'augmenter. On estime
que 300 millions de tonnes de plastique sont produites chaque année dans le
monde, dont près de 10 % finissent dans les océans. (…) la concentration de déchets va aller grandissante au cours de la
décennie .
Une preuve de
cette aggravation du phénomène vient d'être apportée par une nouvelle étude de l'université de Californie à San
Diego, publiée (…) par la revue Biology
Letters de la
Royal Society britannique. Selon les chercheurs, la concentration de
microplastiques a été multipliée par cent au cours des quarante dernières
années dans le gyre subtropical du Pacifique nord.
Or, ces plastiques mettent des centaines d'années à se
dégrader. Et si la lumière du soleil photodégrade quelque peu les chaînes des
polymères plastiques, en les fractionnant en morceaux, ce phénomène ne fait en
réalité qu'empirer les choses. Devenu plus petit, le plastique constitue une
grave menace pour la biodiversité : il peut ainsi être ingéré par les poissons,
oiseaux et autres organismes marins, suscitant blessures et étouffements. Sans
compter que ces déchets génèrent des substances toxiques dans les océans et
peuvent créer un déséquilibre des écosystèmes.
Que faire contre ces poubelles flottantes ? Si des opérations de nettoyage des gyres ont déjà été entreprises ou sont à l'étude, comme le projet américain Kaisei, la tâche paraît titanesque étant donné l'ampleur des zones contaminées et le nombre de micro-fragments. D'autant que ces déchets se trouvant essentiellement hors des eaux nationales et des Zones économiques exclusives, aucun Etat ne veut en assumer la responsabilité ni le coût.
"Le plus accessible serait de se concentrer sur le
nettoyage des canaux et rivières qui débouchent dans les océans, ainsi que les
plages, afin de prévenir une accumulation de déchets plus au large et en
profondeur, explique Marieta Francis, directrice
exécutive de l'Algalita Marine Research Foundation. Mais l'essentiel est surtout de
réduire la quantité de déchets produite, en limitant la consommation
d'emballages, en les recyclant et les réutilisant au maximum et en recherchant
d'autres alternatives, comme des plastiques biodégradables ou compostables, du
papier ou de l'aluminium."
Le Monde.fr par Audrey
Garric
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