vendredi 21 juin 2013

La parure

Or, un soir, son mari rentra, l'air glorieux et tenant à la main une large enveloppe.   « Tiens, dit-il, voici quelque chose pour toi. »   Elle déchira vivement le papier et en tira une carte imprimée qui portait ces mots :   « Le ministre de l'Instruction publique et Mme Georges Ramponneau prient M. et Mme Loisel de leur  faire l'honneur de venir passer la soirée à l'hôtel du ministère, le lundi 18 janvier. »   Au lieu d'être ravie, comme l'espérait son mari,  elle jeta avec dépit l'invitation sur la table,  murmurant : « Que veux-tu que je fasse de cela?
- Mais, ma chérie, je pensais que tu serais contente. Tu ne sors jamais, et c'est une occasion, cela,  une belle! J'ai eu une peine infinie à l'obtenir. Tout le monde en veut; c'est très recherché et on n'en  donne pas beaucoup aux employés. Tu verras là tout le monde officiel. » 
Elle le regardait d'un œil irrité, et elle déclara avec impatience:   « Que veux-tu que je me mette sur le dos pour aller là? »   Il n'y avait pas songé; il balbutia :   « Mais la robe avec laquelle tu vas au théâtre. Elle me semble très bien, à moi... 
Il se tut, stupéfait, éperdu, en voyant que sa femme pleurait. Deux grosses larmes descendaient  lentement des coins des yeux vers les coins de la bouche; il bégaya : « Qu'as-tu? qu'as-tu? »   Mais, par un effort violent, elle avait dompté sa peine et elle répondit d'une voix calme en essuyant  ses joues humides :   « Rien. Seulement je n'ai pas de toilette et par conséquent je ne peux aller à cette fête. Donne ta  carte à quelque collègue dont la femme sera mieux nippée que moi. »   Il était désolé. Il reprit : «Voyons, Mathilde. Combien cela coûterait-il, une toilette convenable, qui  pourrait te servir encore en d'autres occasions, quelque chose de très simple? »   Elle réfléchit quelques secondes, établissant ses comptes et songeant aussi à la somme qu'elle  pouvait demander sans s'attirer un refus immédiat et une exclamation effarée du commis  économe.   Enfin, elle répondit en hésitant :   « Je ne sais pas au juste, mais il me semble qu'avec quatre cents francs je pourrais arriver. »   Il avait un peu pâli, car il réservait juste cette somme pour acheter un fusil et s'offrir des parties de  chasse, l'été suivant, dans la plaine de Nanterre, avec quelques amis qui allaient tirer des alouettes,  par-là, le dimanche. 
Il dit cependant : « Soit. Je te donne quatre cents francs. Mais tâche d'avoir  une belle robe.   Le jour de la fête approchait, et Mme Loisel semblait triste, inquiète, anxieuse. Sa toilette était prête  cependant. Son mari lui dit un soir : « Qu'as-tu? Voyons, tu es toute drôle depuis trois jours. » Et elle répondit : « Cela m'ennuie de n'avoir pas un bijou, pas une pierre, rien à mettre sur moi.  J'aurai l'air misère comme tout. J'aimerais presque mieux ne pas aller à cette soirée. »  Il reprit : « Tu mettras des fleurs naturelles. C'est très chic en cette saison-ci. Pour dix francs tu  auras deux ou trois roses magnifiques. »  Elle n'était point convaincue.   «Non ... il n'y a rien de plus humiliant que d'avoir l'air  pauvre au milieu de femmes riches. »   Mais son mari s'écria :   « Que tu es bête! Va trouver ton amie Mme  Forestier et demande-lui de te prêter des bijoux. Tu es bien assez liée avec elle pour faire cela. »   Elle poussa un cri de joie : « C'est vrai. Je n'y avais point pensé. » Le lendemain, elle se rendit chez son amie et lui conta sa détresse.  Mme  Forestier alla vers son armoire à glace, prit un large coffret, l'apporta, l'ouvrit, et dit à Mme Loisel : « Choisis, ma chère. »
Elle vit d'abord des bracelets, puis un collier de perles, puis une croix vénitienne, or et pierreries,  d'un admirable travail. Elle essayait les parures devant la glace, hésitait, ne pouvait se décider à les  quitter, à les rendre. Elle demandait toujours : « Tu n'as plus rien d'autre?   - Mais si. Cherche. Je ne sais pas ce qui peut te plaire. »   Tout à coup elle découvrit, dans une boîte de satin noir, une superbe rivière de diamants; et son  cœur se mit à battre d'un désir immodéré. Ses mains tremblaient en la prenant. Elle l'attacha autour de sa gorge, sur sa robe montante, et demeura en extase devant elle-même.   Puis, elle demanda, hésitante, pleine d'angoisse : « Peux-tu me prêter cela, rien que cela?   - Mais oui, certainement. »  Elle sauta au cou de son amie, l'embrassa avec emportement, puis s'enfuit avec son trésor. 
Guy de Maupassant, « La parure», 1884 ; Librairie Larousse, 1983, pp.113-115

Compréhension
- Pourquoi M. Loisel rentra-t-il l'air glorieux ? 
- Mme  Loisel « jeta avec dépit l'invitation sur la table ». Pourquoi ?
- Expliquez l’expression « tout le monde officiel ».
- Quel genre de toilette M. Loisel conseilla-t-il ?
- Pourquoi Mme  Loisel réfléchit-elle avant de demander quatre cents francs ?
- Expliquez l’expression « j'aurai l'air misère comme tout ». 
- Quel est le meilleur conseil que M. Loisel  donna à sa femme ?
- Pourquoi Mme  Forestier hésitait-elle devant les parures ? 
Production
- Résumez le texte en quelques lignes.
- Quelles sont vos impressions à propos des personnages de ce texte?

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