Longtemps tenue pour un secteur dépassé,
l'agriculture se trouve au cœur de la mondialisation. La croissance
démographique portera la population mondiale à 9,5 milliards d'hommes en 2050,
urbains à plus de 60 %, ce qui nécessitera une hausse de 70 % de la production
agricole. D'un côté, la nouvelle classe moyenne des pays émergents, soit plus
d'un milliard de personnes, diversifie et améliore son alimentation. De
l'autre, 925 millions d'hommes souffrent de sous-alimentation, dont 77 % sont
des fermiers. Les écarts se creusent entre la localisation des hommes et des
richesses et celle de la production agricole. En outre, trois révolutions sont
à l'œuvre. La première découle de la révolution des biotechnologies, notamment
des OGM, déterminants dans le renouveau agricole sud-américain. La deuxième est
liée au changement climatique, qui accélère la désertification de quelque 40 %
des terres émergées, ainsi qu'à la multiplication des catastrophes naturelles.
La troisième est à chercher dans le rapprochement des marchés agricole et
énergétique (la consommation d'éthanol au Brésil dépasse celle des
carburants fossiles depuis 2010).
L'agriculture française est
confrontée à un tournant majeur, avec la fin du modèle économique fondé sur
la subvention. Depuis 1945, trois mouvements se sont succédé. La mécanisation
et l'exode rural réduisirent fortement le nombre d'exploitations et
d'agriculteurs (respectivement 2,3 et 6,2 millions en 1955). La rationalisation
des structures par les lois d'orientation de 1960 et 1962, associée à la mise
en œuvre de la PAC, favorisa le basculement vers l'agriculture intensive. À
partir des années 70, la hausse de la production et la baisse des prix
trouvèrent pour contrepartie les subventions européennes, contingentées dans
les années 80, réorientées vers les aides directes aux producteurs en 1992 puis
progressivement découplées de la production à partir de 2003. Or ce modèle est
aujourd'hui caduc. Le tissu agricole se délite, avec une division par deux du
nombre d'exploitations en vingt ans, pour 966 000 agriculteurs, dont le revenu
moyen de 30 200 euros masque une explosion des inégalités. En dehors du secteur
viticole, dont les performances sont tirées par le secteur du luxe
(exportations de 10 milliards d'euros dégageant un excédent de 8,6 milliards),
la compétitivité de l'agriculture française décroche, les coûts du travail
étant supérieurs de 26 % à ceux de l'Allemagne. La confiance des consommateurs
a été cassée par la cascade de scandales et de crises sanitaires. La recherche
agronomique est bloquée par le refus des biotechnologies, à l'image de
l'interdiction des OGM, maintenue en dépit de sa condamnation par la justice
française et européenne. Enfin, les 9,6 milliards de fonds européens, auxquels
s'ajoutent 3,4 milliards de budget national et plus de 1,67 milliard d'aides
d'urgence depuis 2006, sont insoutenables pour une France surendettée (90 % du
PIB en 2012) comme pour une Europe dont l'objectif consiste à réduire le poids de
la PAC de 40 à 33 % du budget sur la période 2014-2020. L'agriculture à crédit
a vécu.
La France ne restera une grande puissance
agricole que
si elle fait le choix de la production, de l'innovation et du marché mondial.
Les atouts français restent considérables, qu'il s'agisse de l'espace (30
millions d'hectares), de la productivité de certains secteurs comme les
céréales ou la betterave, de la qualité et de la réputation de nombre de ses
produits, du dynamisme de l'industrie agroalimentaire, de la qualité des
infrastructures ou des capacités de recherche. Ils peuvent être mobilisés pour
refonder un modèle original autour de six priorités. Rompre avec l'économie
administrée. Lier l'ouverture des marchés et des investissements au strict
respect des normes européennes, notamment en matière sanitaire. Concentrer et
spécialiser les exploitations afin de disposer de la taille critique pour
financer les investissements nécessaires à une agriculture bio-intensive.
Redresser la compétitivité par la maîtrise des coûts du travail. Organiser les
filières de production pour stabiliser les prix et négocier le partage de la
valeur ajoutée. Libérer la recherche pour accélérer la transition de la chimie
vers les biotechnologies et le développement durable.
L'agriculture doit devenir le laboratoire du repositionnement
de l'économie française dans la mondialisation. L'économie française n'est pas
spécialisée à outrance, contrairement à l'Allemagne dans l'industrie ou au
Royaume-Uni dans la finance, mais repose sur une structure diversifiée mêlant
agriculture, industrie, services et tourisme. La vitalité de l'agriculture est
fondamentale pour la croissance, pour le secteur agroalimentaire, la
distribution et le tourisme. La France doit assumer son insertion dans la
mondialisation et ériger son agriculture, qui bénéficie d'une demande en
expansion et de prix durablement haussiers, en fer de lance de son redressement.
Il ne faut pas acheter français ; il faut produire en France pour les
consommateurs de la société ouverte du XXIe siècle.
Le Point N° 2059 du 1er
mars 2012 par NICOLAS BAVEREZ
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