C'est
une mince consolation, mais il y a au moins un domaine économique dans lequel
la France
excelle : la natalité. Une bonne nouvelle pour le dynamisme futur de la
croissance, pour le paiement de nos retraites aussi. Bravo donc aux Françaises
et bientôt, peut-être, aux Français. Avec un indicateur de fécondité de 2,01
enfants par femme en 2012, la France écrase ses partenaires européens (1,4 en Allemagne et en Italie, 1,5 en Espagne). Bien sûr, les esprits chafouins diront
que cette belle performance est largement dopée par la générosité de la
politique familiale (85 milliards d'euros par an, 5 % du PIB). Peu importe.
La
France fait aussi nettement mieux que la Chine (1,5 enfant), où la politique
d'enfant unique, en dépit de quelques assouplissements, demeure le dogme
officiel. C'est en 1979, au moment même où Pékin entamait la libéralisation de
son économie, que les dirigeants communistes ont placé la politique familiale
sous étroite surveillance. Et qu'ils ont, dans une sorte de malthusianisme
revisité par Marx, poussé à un degré extrême la logique d'intervention d'un
État dans la vie privée, en décidant de limiter à 1 le nombre d'enfants par
couple. Avec un raisonnement simple de nature à séduire tout dictateur : le
meilleur moyen d'élever rapidement le niveau de vie par habitant est encore de
restreindre de façon autoritaire le nombre des habitants.
D'un
point de vue purement comptable, la politique de l'enfant unique a été un
succès. Sans elle, selon les estimations officielles, la population chinoise
serait aujourd'hui de 1,7 milliard et non de 1,3 milliard. De nombreux
économistes contestent toutefois l'idée selon laquelle cette planification des
naissances a contribué au décollage économique du pays. Comme le Prix Nobel
d'économie Gary Becker, qui remarque que d'autres pays d'Asie, comme la
Thaïlande, ont enregistré un boom économique et une baisse de la natalité comparables
sans avoir adopté une telle politique. Il note surtout que cette atteinte à la
liberté individuelle a nui au bien-être global de la société chinoise et
provoqué un sentiment de frustration nuisible à la performance économique. Des
sondages, à prendre bien sûr avec des précautions, indiquent que 70 % des
Chinoises auraient désiré avoir plus de 1 enfant.
Ce
qui est sûr, c'est que la politique d'enfant unique présente aujourd'hui des
effets pervers. D'abord, elle se traduit par une masculinisation du pays, en
raison de la préférence culturelle des Chinois pour les fils. Ce qui a conduit
à l'élimination en masse des filles par suite d'avortements sélectifs ou de
mauvais traitements. La démographe et sinologue Isabelle Attané, auteur de
l'essai "Au pays des enfants rares", estime à 60 millions le déficit
de femmes en Chine. Moins de femmes aujourd'hui, cela signifie moins de
naissances demain et donc une croissance durablement ralentie.
Cela
signifie aussi que plus de 1 million de jeunes hommes renoncent chaque année au
mariage, faute de trouver une partenaire féminine. Ce célibat forcé a une
conséquence économique inattendue, celle de gonfler un peu plus encore un taux
d'épargne déjà très élevé. L'économiste sino-américain Shang-Jin Wei a constaté
que les familles avec un garçon économisaient plus que celles avec une fille et
qu'elles épargnaient davantage encore dans les régions où la proportion
d'hommes était élevée. Autrement dit, pour trouver une femme, il est recommandé
à un soupirant de présenter un livret d'épargne bien garni. Autrement dit
aussi, cette chasse à l'épouse, en dissuadant les Chinois de consommer, et donc
d'importer, contribue au grand déséquilibre du commerce mondial.
Car
les jeunes Chinois doivent aussi épargner, faute d'un système de retraites,
pour subvenir aux besoins de leurs ascendants. En trente ans, les familles
chinoises - on ne parle pas foot mais structure familiale - sont passées du
modèle "1-2-4" (un grand-parent, deux parents, quatre enfants) au
"4-2-1" : quatre grands-parents, deux parents, un enfant. D'ici à
2050, la proportion de Chinois âgés de plus de 60 ans aura triplé. La Chine
vieillit aussi dans les têtes. Des universitaires australiens ont constaté que
les Chinois nés sous la politique d'enfant unique sont en moyenne plus
pessimistes et ont moins de goût pour le risque que ceux nés auparavant. Les
"petits empereurs", pourris-gâtés, surcouvés, n'ont visiblement pas
tous les qualités requises pour faire de grands entrepreneurs.
Alors,
de nombreux économistes préconisent l'abandon pur et simple de la politique de
l'enfant unique. Ce qui provoque de vives résistances, à commencer chez les 400
000 fonctionnaires chargés d'appliquer le programme de planification des
naissances. Peut-être, comme le pense Gary Becker, est-il de toute façon déjà
trop tard pour relancer la natalité en Chine. À Shanghai, où le contrôle des
naissances a pourtant été assoupli, l'indice de fécondité est tombé à 0,6
enfant, l'un des plus faibles au monde. Mais voilà. Il est plus facile d'empêcher
les femmes d'avoir des enfants que de les forcer à en avoir.
Le Point du 24/01/2013
Par Pierre-Antoine Delhommais
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire