Tout un symbole.
L'hebdomadaire américain Newsweek, né en 1933, publie sa dernière
édition sur papier, datée du 31 décembre, avec en couverture ces seuls mots : "#lastprintissue",
dernière édition imprimée, précédés du hashtag, symbole de Twitter.
La
disparition de Newsweek sous sa forme papier
s'inscrit, bien sûr, dans le contexte de la crise de la presse aux Etats-Unis.
Mais elle signifie d'abord la fin d'un modèle très américain, celui des
hebdomadaires d'information à diffusion nationale. Il fut un temps où Time et Newsweek,
les deux rivaux de toujours – le premier classé à droite et le second à gauche
– dictaient l'agenda de l'information aux Etats-Unis. Les familles américaines
attendaient de recevoir dans leur boîte à lettres l'essentiel de
l'actualité et, en couverture, une photo à fort impact visuel était censée
résumer à elle seule le grand sujet de la semaine. Stephen G. Smith, rédacteur
en chef de Newsweek de 1986 à 1991 cité par Associated
Press, parle d'une "conversation commune qui était partagée par
toute la Nation".
Newsweek a
joué un rôle important dans la lutte pour les droits civiques, la fin de la
guerre du Vietnam ou la lutte contre le sida. Lorsque
Jean-Jacques Servan-Schreiber lance une nouvelle formule de L'Express,
en 1964, il va puiser son inspiration auprès de Time.
SEGMENTATION
DE L'INFORMATION
La
crise des hebdomadaires est d'abord liée à la fin de l'ère des masses et à la
segmentation de l'information. Les grands magazines entendaient offrir la
même information à la classe moyenne américaine, dans tout le pays. Or, l'heure
est plutôt aux médias de niche, ou à l'information politiquement
située, comme l'illustre le succès des chaînes câblées telle Fox News,
avec ses talk-shows polémiques et très orientés.
"Ces
énormes machines qu'étaient les news magazines étaient obligées d'avoir une
attitude centriste, "mainstream", qui ne colle plus avec la
polarisation des citoyens aux Etats-Unis, souligne Bertrand
Pecquerie, directeur du Réseau mondial des rédacteurs en chef (Global Editors
Network). On l'a bien vu lors des dernières élections présidentielles.
Les médias qui marchent sont ceux d'opinion, comme Fox News ou The
Atlantic Monthly, un mensuel moribond, qui a trouvé une nouvelle vie sur
Internet en affichant ses convictions libérales et pro-Obama."
Le
premier rédacteur en chef de Newsweek, Thomas Martyn,
présentait son journal comme "un complément indispensable de la
lecture d'un quotidien, parce qu'il explique, expose et clarifie". A
l'heure d'Internet, ce modèle est devenu obsolète. Comme le résume David
Carr, éditorialiste au New York Times, "dans
l'actuel écosystème numérique des médias, avoir le mot "week" dans
son titre est un terrible anachronisme". Bouclé le vendredi, le
magazine arrive dans les foyers le lundi ou le mardi, alors que le lecteur
a déjà eu le temps de s'informer par d'autres canaux.
ATTIRER
LES ANNONCEURS
Newsweek a
aussi souffert de la crise de son modèle économique. Les grands hebdomadaires
américains sont diffusés surtout par abonnements, vendus à prix très bas, de
l'ordre de 20 dollars. L'objectif est de viser une diffusion la plus
large possible, afin d'attirer les annonceurs.
Mais,
depuis une dizaine d'années, la diffusion ne cesse de baisser. Elle est
passée de 3,14 millions d'exemplaires en 2000 pour Newsweek à
1,5 million en 2012. Son concurrent, Time, s'en tire mieux avec une
diffusion de 3,38 millions cette année.
"Newsweek
se situe du mauvais côté du marché publicitaire, commente Ken
Doctor, spécialiste américain de l'économie des médias. Celui des
supports imprimés de diffusion nationale et de contenu général. Les publicités
nationales ont migré plus rapidement sur le numérique que les publicités
locales. En outre, les annonceurs qui ont besoin d'une audience nationale ont
maintenant accès à une palette d'offres proche de l'infini et plus ciblées que
le lectorat de Newsweek."
En
2012, pour la première fois, le chiffre d'affaires de la publicité en ligne aux
Etats-Unis devrait dépasser celui de la publicité sur l'imprimé, selon la firme
eMarketer (37,3 milliards de dollars soit 28,2 milliards d'euros, contre 34,3).
Newsweek va devenir un
magazine numérique accessible par abonnement et intitulé Newsweek Global. Tina
Brown, rédactrice en chef de Newsweek et du site Daily Beast,
veut croire au succès de la nouvelle formule. Elle se fonde sur une
étude du Pew Institute selon laquelle 39 % des Américains s'informent
désormais sur Internet.
LE MONDE du 26.12.2012 - Xavier
Ternisien
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